(Moscou) Des milliers de Russes pleurent la mort de Navalny à Moscou.

Depuis samedi matin, le flot de fleurs devant le mur du Chagrin à Moscou ne se tarit pas, malgré les dizaines de policiers tout autour.

« Tu es notre héros. » Ces mots, écrits sur une simple feuille de papier dans une marée de fleurs, expriment la douleur des milliers de Russes venus se recueillir devant ce monument aux victimes de la répression politique.

Les larmes aux yeux, ils viennent faire leurs adieux à celui qui leur offrait l’espoir d’une Russie meilleure.

« C’était un homme courageux. Il se battait pour notre liberté. Il offrait de l’espoir. Alexeï Navalny est revenu en Russie après son empoisonnement, il ne nous a pas abandonnés », décrit Ilia*, étudiant en première année d’informatique, venu avec sa petite amie. « Ma conscience politique a commencé avec les enquêtes menées par Alexeï Navalny. Il a fait de moi un vrai homme, avec un esprit critique. »

PHOTO MARIE TSVETAEVA, COLLABORATION SPÉCIALE

Des jeunes prennent un moment pour se souvenir d’Alexeï Navalny.

La plupart des personnes dans la foule en larmes sont jeunes. La mort du leader laisse, à première vue, l’opposition russe démunie. Il pourrait sembler que « le rêve d’une Russie libre s’est dissipé, a commenté, samedi, Boris Nadejdine, candidat écarté de l’élection présidentielle, dans un message sur sa page VKontakte, le réseau social russe. Mais ce n’est pas le cas. Je ferai tout pour réaliser l’aspiration d’Alexeï et de millions de citoyens de notre pays. »

Alexeï Navalny se battait pour la démocratie et contre la corruption. Il publiait des enquêtes dénonçant le système de Poutine, dont il est devenu l’ennemi numéro un.

Le président russe est tenu responsable de l’empoisonnement d’Alexeï Navalny au Novitchok en 2020, dont l’opposant s’est remis après une longue hospitalisation à Berlin. À son retour en Russie, il a été emprisonné pour « extrémisme » et transféré, il y a quelques mois, dans une des colonies pénitentiaires les plus rudes de Russie.

300 arrestations

« Pour moi, c’est un meurtre. Il a été injustement et cruellement mis en prison, puis assassiné là-bas. Si on tolère cela, que se passera-t-il ensuite ? C’est effrayant rien que d’y penser », s’alarme Ksenia*, diplômée en philosophie. « La limite de l’inacceptable a été dépassée. Le pouvoir a montré son véritable visage. » Beaucoup craignent un durcissement du régime après la présidentielle [dont le premier tour est prévu du 15 au 17 mars]. « J’ai peur d’imaginer ce qui se passera après l’élection, dans l’“euphorie” des résultats », avoue Alexandre Tchernikov, ancien partisan de Navalny.

Poutine l’a tué par défi, pour montrer qu’il peut faire tout ce qu’il veut.

Alexandre Tchernikov, ancien partisan de Navalny

Bien que déposer des fleurs au pied des monuments ne soit pas interdit en Russie, la police n’hésite pas à sévir. Certaines arrestations sont particulièrement violentes. L’organisation de défense des droits de la personne russe OVD Info a recensé près de 300 arrestations à travers le pays.

PHOTO MARIE TSVETAEVA

Les policiers se sont aussi mêlés des commémorations entourant la mort d’Alexeï Navalny.

Beaucoup d’opposants rapportent avoir reçu plusieurs avertissements à leur domicile. Comme Alicia*, qui en a reçu six depuis la mort de Navalny pour la dissuader de participer à toute commémoration. Mais elle est tout de même venue avec des fleurs. « Il était le symbole même de la résistance », témoigne la jeune femme frêle, encore sous le choc.

Ennemi du Kremlin

En dehors de cette petite place au centre de Moscou, où est situé le monument à la mémoire des victimes de répression politique, la vie continue comme si de rien n’était. La capitale fête en grande pompe le Nouvel An chinois, les enfants s’amusent sur les manèges de la place Rouge. À la télévision russe, on montre la prise victorieuse d’Avdiïvka sur le front ukrainien. L’information sur la mort d’Alexeï Navalny n’a duré que 28 secondes. Certains Russes ne savent rien de sa mort, plongés dans les soucis quotidiens de la vie.

À l’approche de l’élection, cette mort est gênante pour le Kremlin, dont on le tient responsable à l’international. La mort d’un prisonnier politique, même de cause naturelle, ternit l’image victorieuse et prospère de la Russie que s’efforce de projeter Vladimir Poutine.

Inébranlable, il a gardé son sourire pincé devant les caméras lors de sa visite de l’usine de Tcheliabinsk durant laquelle on l’aurait informé de la mort de Navalny. Le reportage montre plutôt une jeune femme faire l’éloge du président. « Je n’ai aucune question, juste une énorme fierté de vous avoir comme président », affirme-t-elle, tremblante d’émotion.

Ceux qui regardent la télévision russe croiront sans hésiter la version officielle. « Washington et Bruxelles sont responsables de la mort de Navalny », affirme ainsi avec aplomb le président de la Douma russe, Viatcheslav Volodine. « Nous devons d’abord répondre à la question suivante : à qui profite la mort de Navalny aujourd’hui ? Leurs noms sont bien connus : le secrétaire général de l’OTAN et Zelensky. »

*Les personnes interrogées n’ont pas donné leur nom de famille, par peur des représailles du régime.