(Moscou) Un Russe, jugé pour avoir critiqué l’offensive en Ukraine lors d’un micro-trottoir, a tenu tête au tribunal mercredi en disant « ne rien regretter », dans une nouvelle affaire emblématique de la répression généralisée en Russie.

Si des centaines d’opposants, militants et Russes ordinaires ont été emprisonnés pour avoir exprimé leur désaccord depuis le début de l’assaut russe contre l’Ukraine, il s’agit du premier cas connu de poursuites pour avoir répondu à des questions de journalistes.

Iouri Kokhovets, âgé de 37 ans, avait répondu spontanément en juillet 2022 à une demande d’interview du média Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL) auprès de passants dans les rues de Moscou, et critiqué ouvertement les autorités et l’offensive en Ukraine.

Interrogé à la sortie d’une station de métro, il a notamment estimé que Vladimir Poutine et le gouvernement russe étaient des bandits responsables du conflit, et balayé les arguments du Kremlin pour justifier cette attaque.  

« Notre gouvernement a affirmé vouloir combattre les nationalistes (ukrainiens), mais bombarde les centres commerciaux », dit-il dans cette vidéo diffusée sur les réseaux sociaux de RFE/RL, un média financé par les États-Unis depuis la Guerre froide.

Il a également accusé les militaires russes d’avoir « abattu sans raison » des civils à Boutcha, une localité près de Kyiv qui a été le théâtre d’un massacre imputé aux forces de Moscou au début du conflit en 2022.

« Il faut arrêter tout cela. Chez nous, un homme peut arrêter tout cela », ajoutait-il, en référence au président Vladimir Poutine.

Pas inquiété pendant des mois après cette interview, Iouri Kokhovets a finalement été arrêté par la police en mars dernier et a écopé, après 48 heures de garde à vue, d’une amende de 500 roubles (environ 5 euros au taux actuel) pour « hooliganisme », selon l’organisation OVD-Info, qui assure sa défense.

L’affaire n’en est pas restée là : elle a ensuite été requalifiée en « diffusion de fausses informations sur les forces armées russes », accusation introduite dans le Code pénal au début du conflit et pour laquelle des milliers de Russes ont déjà été condamnés, parfois à de lourdes peines de prison.

Il encourt jusqu’à 10 ans d’emprisonnement.

« Les gens ont peur »

Après une brève audience mercredi, son procès, qui a débuté récemment, a été ajourné au 18 septembre.

« Je ne regrette rien. La vie, c’est comme une balançoire, il y a des hauts et des bas », a confié M. Kokhovets après l’audience aux journalistes, tout en insistant sur le fait que « chaque personne a le droit d’exprimer son opinion ».

Il a affirmé que « le destin » l’avait amené à répondre aux questions des « journalistes de la presse libre » ce jour-là. « Je leur ai dit tout ce que je pensais. Je maintiens mon opinion, rien n’a changé. »

Ce spécialiste de la désinsectisation a raconté que lorsqu’il évoque avec ses clients son cas, ils lui disent qu’il « vaut mieux se taire ». « Les gens ont peur », constate Iouri Kokhovets.

« Tout a un début et une fin. Pour l’instant, il n’y a pas d’avenir radieux en vue. Mais je garde espoir », a-t-il conclu.

La Russie est confrontée depuis de nombreuses années à une répression croissante des voix critiques du pouvoir, qui s’est accélérée après le début du conflit en Ukraine et l’isolement international du pays du fait des sanctions occidentales.

La quasi-totalité des opposants d’envergure a fui le pays ou a été emprisonné, à l’exemple du plus connu d’entre eux, Alexeï Navalny, condamné dernièrement à 19 ans de prison.

Des milliers de Russes ordinaires ont également été condamnés pour leur opposition au conflit, que ce soit lors d’actions de protestation ou même à cause de simples messages sur les réseaux sociaux.

Selon OVD-Info, qui recense tous les cas individuels, près de 20 000 personnes ont été arrêtées depuis février 2022. Rien que cette semaine, les tribunaux russes doivent examiner 71 affaires à connotation politique.