La plateforme de sociofinancement qu'utilisait jusqu'à récemment CYCI pour solliciter des dons au profit de la libération d'esclaves sexuelles a suspendu la campagne la semaine dernière, invoquant des doutes quant à la légalité de celle-ci.

« Nous nous sommes rendu compte que cette campagne pourrait être illégale, a indiqué un porte-parole de GoFundMe, dans une déclaration envoyée à La Presse. Nous avons suspendu la campagne et travaillons avec les autorités pour résoudre la question. La décision de retirer cette campagne est une question strictement juridique - il n'y a eu absolument aucune influence de quelque organisation que ce soit. »

L'entreprise de sociofinancement n'a pas voulu expliquer en quoi la campagne pourrait être illégale.

En entrevue, le président de CYCI, Steve Maman, a relativisé la portée du geste de GoFundMe, soulignant qu'il est toujours possible de financer son oeuvre par chèque ou par l'entremise de PayPal sur le site de l'organisation.

« Sur le plan de la loi, on est très tranquilles », a-t-il dit. « On s'attendait à des investigations, parce qu'on parle de l'Irak et d'antiterrorisme », a-t-il dit. Il assure ne pas avoir été contacté par la Gendarmerie royale du Canada, malgré la grande visibilité acquise par son organisation au cours des dernières semaines.

« C'est du béton armé, ce qu'on fait. »

«La GRC devra s'impliquer»

Spécialiste des enjeux de lutte contre le financement des activités terroristes, l'avocate Christine Duhaime estime pour sa part que les activités de CYCI justifient une intervention de la GRC.

« Ils semblent violer au moins trois lois fédérales et commettre des infractions criminelles sérieuses qui entraînent des peines d'incarcération et des amendes élevées », dit-elle.

« Au sens du Code criminel, ils fournissent illégalement des biens à une organisation terroriste reconnue et ils le font en toute connaissance de cause, car ils recueillent des fonds dont ils admettent qu'ils sont utilisés pour payer la libération de gens détenus par le groupe armé État islamique », dit Me Duhaime.

Selon l'avocate, CYCI enfreint également le règlement d'application des résolutions des Nations unies sur la lutte contre le terrorisme, qui interdit de mettre des fonds à la disposition d'une organisation terroriste comme l'EI, et le régime de sanctions contre la Syrie, dont le califat déclaré par l'EI occupe une portion importante de territoire.

Elle doute que l'explication de CYCI - qui affirme ne pas verser d'argent au groupe État islamique, mais plutôt à des courtiers qui se chargent d'obtenir la libération des personnes enlevées par l'EI - tienne la route. « Si c'est le cas, ne finance-t-on pas indirectement des terroristes ? », demande-t-elle.

« C'est exactement la même analogie que pour les gens qui achètent illégalement des antiquités ou du pétrole de l'EI : ils passent par des courtiers. »

« La GRC devra s'impliquer, car toute banque, tout bureau d'avocats et tout autre fournisseur de services impliqués dans une activité prohibée par le Code criminel, le régime de sanctions ou les règles des Nations unies sont tenus par la loi d'aviser la GRC, le Service canadien de renseignement de sécurité et, dans le cas des banques, le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE). »

La porte-parole de la GRC, Annie Delisle, a indiqué que le corps policier était « au courant de ce qui a été rapporté dans les médias » au sujet de CYCI. Elle a toutefois refusé d'indiquer si la GRC faisait enquête.

« En règle générale, ce n'est qu'en cas de dépôt d'accusations criminelles que la GRC confirmera la tenue d'une enquête, la nature des accusations portées et l'identité de la ou des personnes concernées », a-t-elle dit.

De son côté, « CANAFE ne peut pas émettre de commentaires sur ses activités d'analyse ni sur les renseignements financiers potentiellement reçus ou communiqués aux forces policières ou agences de la sécurité nationale », a indiqué sa porte-parole, Renée Bercier.