Le président français François Hollande a estimé dimanche que la lutte contre le terrorisme devait respecter les droits de l'homme, lors d'une visite en Égypte où la prédominance de ce sujet a manifestement irrité son homologue Abdel Fattah al-Sissi.

Le Caire était la deuxième étape d'une tournée de M. Hollande au Moyen-Orient après le Liban et avant la Jordanie. Il y affirmait son soutien au président Sissi qui dirige le pays d'une main de fer, mais aussi pour signer près d'une vingtaine de contrats ou de protocoles d'entente dans les transports urbains et les énergies renouvelables notamment.

Son entourage avait assuré que les droits de l'homme seraient évoqués «de manière discrète et efficace» au Caire, mais le sujet a occupé la quasi-totalité de sa conférence de presse d'un Sissi visiblement courroucé par les questions de journalistes français.

Lutter contre le terrorisme «suppose de la fermeté mais aussi un État, et un état de droit, c'est le sens de ce que la France évoque quand elle parle des droits de l'homme. Les droits de l'homme, ce n'est pas une contrainte, c'est aussi une façon de lutter contre le terrorisme», a déclaré M. Hollande.

«Nous avons évoqué avec le président Sissi les droits de l'homme, y compris les sujets les plus sensibles», comme les cas «du Français Eric Lang et de l'Italien Giulio Regeni», a continué M. Hollande, invoquant la nécessaire «liberté de la presse et la liberté d'expression».

Eric Lang est un Français arrêté en 2013 au Caire par la police et battu à mort dans sa cellule, «par des co-détenus» selon le parquet général du Caire.

Giulio Regeni est un étudiant italien enlevé dans la capitale égyptienne le 25 janvier et retrouvé mort neuf jours plus tard dans un fossé, le corps portant les stigmates d'épouvantables tortures. La presse italienne et des diplomates assurent qu'il a été tué par des membres de services de sécurité, ce que l'Égypte nie avec véhémence.

«La région dans laquelle nous vivons est une région très perturbée, monsieur le président Hollande. Les normes en Europe, qui est au sommet du progrès et de la civilisation, ne peuvent prévaloir dans la situation que vit notre région, notamment l'Égypte», a commenté sèchement M. Sissi. «Nous sommes confrontés à des forces diaboliques qui essaient d'ébranler l'Égypte (...) par des accusations visant à affaiblir la police et la justice».

Les deux hommes se sont également entretenus de la sécurité dans la région, évoquant la question israélo-palestinienne, la guerre en Syrie, la crise en Libye et la lutte contre l'organisation djihadiste État islamique (EI).

«Silence assourdissant»

Les deux chefs d'État ont assisté à la signature de 18 contrats et protocoles d'ententes en présence d'une trentaine de chefs d'entreprises françaises. Un consortium emmené par Vinci et Bouygues a notamment remporté l'extension d'une ligne du métro du Caire pour 1,2 milliard d'euros. D'autres signatures sont attendues lundi, deuxième jours de la visite.

Mercredi à Paris, la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH), Amnesty international et Human Rights Watch (HRW) notamment avaient dénoncé le «silence assourdissant» de la France sur la «gravité de la répression contre la société civile, au prix d'une augmentation vertigineuse de la pratique de la torture, des incarcérations abusives, des disparitions forcées et des violences».

Depuis que M. Sissi, alors chef de l'armée, a destitué et fait arrêter en juillet 2013 le président islamiste Mohamed Morsi, premier chef de l'État démocratiquement élu en Égypte, son régime réprime dans le sang les Frères musulmans de Morsi, mais musèle aussi l'opposition laïque et libérale.

Dans les semaines qui ont suivi la destitution, plus de 1400 manifestants pro-Morsi ont été tués dans les rues. Plus de 40 000 personnes ont été emprisonnées et des centaines, dont M. Morsi, condamnées à mort dans des procès de masse expéditifs qualifiés par l'ONU de «sans précédent dans l'Histoire récente» du monde.

Le régime de Sissi, élu président en mai 2014, invoque le fait que l'Égypte est «le dernier rempart contre les djihadistes» et en proie à de nombreux attentats, visant essentiellement les forces de sécurité et revendiqués par la branche égyptienne de l'EI.

Paris est aussi l'un des principaux fournisseurs d'armes du régime de M. Sissi, qui lui a notamment acheté en 2015 24 avions de combat Rafale, une frégate multimissions et les deux navires Mistral dont Paris avait annulé la vente à la Russie en raison de la crise ukrainienne.