Deux reporters de Reuters accusés d'« atteinte au secret d'État » pour avoir enquêté sur un massacre de musulmans rohingyas par l'armée en Birmanie ont été condamnés lundi à sept ans de prison, au terme d'un procès qui a entaché un peu plus l'image du prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi.

« Ayant tous deux porté atteinte au secret d'État, ils sont condamnés à sept ans de prison chacun », a déclaré le juge Ye Lwin, devant une salle d'audience pleine à craquer de journalistes et diplomates.

La Haute-commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme Michelle Bachelet a demandé au gouvernement birman de « libérer dès que possible, immédiatement » les deux journalistes et a dénoncé une « une parodie de justice ».

L'Union européenne a aussi appelé à leur « libération immédiate et inconditionnelle ».

« Nous demandons la libération immédiate des journalistes », a déclaré Mark Field, le secrétaire d'État britannique aux Affaires étrangères, chargé de l'Asie. « C'est un jour sombre pour la Birmanie », a-t-il estimé.

La France a « déploré » cette condamnation, la qualifiant de « sérieuse atteinte à la liberté de la presse et à l'État de droit » en Birmanie.

Wa Lone, 32 ans, et Kyaw Soe Oo, 28 ans, en détention préventive depuis décembre 2017, risquaient une peine de 14 ans de prison au terme de ce procès très controversé, dans un pays où l'indépendance de la justice est sujette à caution.

« Le gouvernement peut bien nous emprisonner... mais ne fermez pas les yeux et les oreilles du peuple », a lancé Kyaw Soe Oo à la foule de journalistes présents devant le tribunal, avant d'être poussé à bord d'un fourgon, en direction de la prison. Sa femme s'était effondrée en larmes à l'énoncé du verdict.

Cette condamnation est un coup dur pour la liberté de la presse, malmenée en Birmanie malgré les espoirs suscités par l'arrivée au pouvoir d'Aung san Suu Kyi en 2016.

Outre celles de l'ONU, de l'UE et de Londres et Paris, les réactions internationales ne se sont pas fait attendre.

L'organisation de défense des journalistes Reporters sans frontières (RSF) « condamne avec la plus grande fermeté cette décision qui vient clore une instruction fantoche » en Birmanie, classée 137e sur 180 pays dans le classement mondial de RSF.

« Ce verdict est clairement destiné à intimider d'autres journalistes birmans. C'est une façon pour les militaires et le gouvernement de dire que si vous enquêtez sur certaines choses qui sont sensibles dans notre pays, nous allons vous poursuivre », a réagi Phil Robertson, de l'ONG Human Rights Watch, interrogé par l'AFP à Bangkok.

Les deux reporters birmans de l'agence de presse sont accusés de s'être procuré des documents relatifs aux opérations des forces de sécurité birmanes dans l'État Rakhine, région du nord-ouest de la Birmanie, théâtre du drame rohingya.

Ils enquêtaient sur un massacre de membres de la minorité musulmane dans le village de Inn Dinn. Quelques jours après leur arrestation, l'armée a reconnu que des soldats et des villageois bouddhistes avaient tué de sang-froid des captifs rohingya le 2 septembre 2017, et sept militaires ont été condamnés à dix ans de prison pour ce massacre.

Contexte de grande tension

Ce verdict intervient dans un contexte de grande tension entre la Birmanie et la communauté internationale: lundi dernier, des enquêteurs de l'ONU ont publié un rapport évoquant un « génocide » des Rohingyas et accusant directement l'armée, mais aussi le silence d'Aung San Suu Kyi, à la tête du gouvernement civil depuis 2016.

Et mardi, la question de la poursuite des militaires birmans devant la justice internationale a été débattue au Conseil de sécurité de l'ONU.

Samedi, à Rangoun, une centaine de manifestants ont réclamé la libération des deux reporters, au nom de la liberté de la presse.

En 2017, plus de 700 000 Rohingyas ont fui vers le Bangladesh, face aux violences commises par les forces armées birmanes et des milices bouddhistes, une répression qualifiée par l'ONU de « nettoyage ethnique », et même désormais de « génocide ».

Le verdict était suivi de près par la communauté internationale, qui avait multiplié les appels à libérer les deux reporters, de Bruxelles à Washington.

En dépit des pressions, la justice a toujours maintenu les poursuites. Si les documents que détenaient les journalistes « s'étaient retrouvés entre les mains de terroristes, ces derniers auraient pu fomenter plus facilement de nouvelles attaques », avait assuré le 20 août le procureur Kyaw Min Aung dans ses réquisitions.

Ottawa demande la libération des journalistes

Le Canada a réclamé lundi la libération immédiate des deux reporters de l'agence Reuters condamnés à sept ans de prison en Birmanie, estimant que ce verdict « mine les efforts » du peuple birman pour parvenir à la démocratie.

« Le Canada est profondément déçu par la décision des tribunaux du Myanmar », a déclaré la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland dans un communiqué, soulignant que « ce verdict porte un coup dur à l'état de droit (...) et mine les efforts du peuple du Myanmar qui lutte depuis des décennies pour la démocratie ».

Les deux reporters ont été accusés « d'atteinte au secret d'État » pour avoir enquêté sur un massacre de musulmans rohingyas par l'armée birmane.

« Le verdict prononcé aujourd'hui n'est pas un juste reflet des faits entourant cette affaire. Il remet sérieusement en question la possibilité d'en arriver un jour à la liberté d'expression, à la démocratie, et à une application équitable et transparente du droit au Myanmar », a ajouté Mme Freeland.

L'envoyé spécial du gouvernement canadien Bob Rae a dénoncé de son côté « une parodie de justice ».

Le Canada se joint à la communauté internationale pour demander que les deux journalistes Wa Lone et Kyaw Soe Oo, « soient libérés immédiatement afin qu'ils puissent retrouver leur famille et poursuivre leur travail essentiel », a ajouté Mme Freeland.