Après les images apocalyptiques des explosions de Tianjin, les autorités chinoises n'ont livré que très peu de détails et la censure balayait l'internet local, un manque de transparence illustrant la manière typique dont Pékin verrouille l'information et supervise la propagande à chaque désastre.

Barrières de flammes, voitures calcinées, conteneurs éventrés et décombres de bâtiments encore fumants: le paysage de désolation d'après les explosions survenues mercredi dans une zone portuaire à 140 km de Pékin a choqué l'opinion publique chinoise. Et très rapidement suscité de vives interrogations sur les risques d'émanations toxiques.

Pourtant, face aux inquiétudes et aux questions légitimes sur les causes du désastre, les réponses apportées par les autorités au gré de communications au compte-gouttes apparaissent bien maigres.

«Ils ont sans doute été dépassés», commente Nicholas Dynon, professeur de l'université de Macquarie de Sydney et expert des médias chinois. Grâce aux réseaux sociaux, «les nouvelles et les images ont été diffusées avant que [le gouvernement] ait pu contenir quoique ce soit», a-t-il déclaré à l'AFP.

Le Parti communiste chinois (PCC) a toutefois vite repris la main en dictant aux médias d'État la ligne officielle... qui ne varie pas d'une catastrophe à l'autre.

Lors du tremblement de terre historique au Sichuan en 2008, du déraillement d'un train à Wenzhou en 2011, d'une explosion dans une usine de pièces automobiles l'an dernier, ou d'un naufrage sur le fleuve Yangtsé en juin, on a assisté aux mêmes procédés de propagande-dissimulation.

«Ils ont recours à des procédures connues de longue date», explique Willy Lam, spécialiste de politique chinoise à l'Université de Hong Kong. Dans le cas de Tianjin, «il y a un manque patent de transparence. Ils ne veulent pas publier toutes les informations à la fois, et cherchent surtout à calmer le public. L'ampleur réelle du désastre n'a pas été dévoilée pour l'instant», souligne-t-il.

En août 2014, après une explosion dans une usine de pièces automobiles à Kunshan, près de Shanghai, les autorités avaient d'abord annoncé quelque 70 victimes. Ce n'est que fin décembre, cinq mois plus tard, qu'un bilan définitif de 146 morts a été publié.

Héros à la une

Les médias officiels chinois font aussi la part belle aux histoires positives, se concentrant sur les efforts des secours... à l'image du pompier disparu dans le brasier de Tianjin et retrouvé vivant vendredi matin.

Mais les autorités n'ont donné d'informations détaillées ni sur la cause des explosions, ni sur les produits chimiques les ayant provoquées, ni surtout sur leurs effets potentiels pour la santé des riverains et l'environnement.

Après sa présentation lors d'une conférence de presse jeudi, le directeur du bureau de la protection de l'environnement de Tianjin semblait mal préparé à répondre aux questions des journalistes. Il a jeté des regards incertains aux autres responsables présents... avant que la retransmission de la conférence à la télévision soit stoppée nette.

Tout en appelant à la transparence, le quotidien officiel Global Times a surtout recommandé la patience tant que se poursuivent les opérations de secours.

De façon symptomatique, une base de données sur les entreprises basées à Tianjin est devenue inaccessible sur internet juste après les explosions. Et une vaste censure balayait les réseaux sociaux. Selon un logiciel mis en place par des chercheurs de l'université de Hong Kong, les messages avec le mot clef «responsabilité» (celle des autorités) étaient notamment effacés par les censeurs.

«J'espère que le gouvernement livrera la vérité au public», écrivait un internaute. «À quoi bon faire des conférences de presse si vous ne savez même pas que des stocks de substances dangereuses doivent être entreposés loin des lieux d'habitation?», s'insurgeait un autre. Un troisième s'interrogeait sur un bilan jugé très limité étant donné la puissance des déflagrations. Tous leurs messages ont disparu peu avoir été mis en ligne.

«La zone dévastée par les explosions, aussi grande soit-elle, n'est rien comparée à l'ampleur de l'impact psychologique pour les millions de personnes qui vivent dans les grandes villes chinoises», analyse Nicholas Dynon. De fait, de prospères complexes résidentiels se trouvaient à moins d'un kilomètre de l'entrepôt de substances toxiques d'où sont parties les déflagrations... de quoi inquiéter les classes moyennes urbaines.

«Il est clair que cela fait partie des raisons pour lesquelles les autorités perçoivent le besoin de contrôler l'information», estime M. Dynon. «Ironiquement cependant, cette tentative de contrôle - et l'absence d'informations en temps voulu - ne font rien pour réduire cet impact», en renforçant la suspicion générale.