Par une nuit glaciale il y a trois ans, Susmita Kami, 13 ans, s'est échappée de la maison de son mari et a couru jusque chez ses parents, dans un coin reculé du nord-est du Népal.

Elle fuyait un mariage forcé, une tradition qui se perpétue au sein de la communauté des «dalits» (intouchables) du Népal, une communauté pauvre vivant à part, souvent au ban de la société.

Heureusement pour Susmita, ses parents ont résisté aux pressions de ses beaux-parents exigeant son retour et ont soutenu leur fille qui aspirait désespérément à une vie meilleure.

«Je leur ai dit que je n'avais jamais voulu me marier et que je ne reviendrais pas. J'ai fui parce que je voulais continuer l'école», dit Susmita, désormais âgée de 16 ans, à l'AFP.

Le Népal a interdit le mariage d'enfants en 1963, mais quatre filles sur 10 continuent d'être mariées avant 18 ans, selon l'UNICEF.

Ces chiffres sont même plus élevés parmi les dalits qui vivent en communauté loin de tout et sont moins au contact des évolutions de la société.

Trois dalits sur quatre se marient pendant l'adolescence ou même avant, selon une étude réalisée en 2012 par les ONG Plan International, Save the Children et World Vision.

Les filles sont fréquemment enlevées par leur futur mari, une pratique que peu de familles remettent en cause.

Susmita a ainsi été enlevée alors qu'elle ramassait du bois et mariée de force quatre jours plus tard, une épreuve également subie par sa mère Jadane Kami quand elle était adolescente.

«C'est notre culture. Les gens craignent que sinon, nos filles s'échappent ou se marient hors de nos communautés», dit Jadane Kami, qui initialement ne s'était pas opposée au mariage forcé de sa fille.

La tradition a résisté à dix ans de guerre civile, à la fin de la monarchie et à la transition démocratique népalaise.

Colonies séparées

À Simikot, le chef-lieu d'un district frontalier du plateau tibétain, les dalits vivent dans des colonies à part.

Leurs abris en toit de paille contrastent avec les toitures de métal brillant des maisons appartenant aux hindous et bouddhistes de caste supérieure.

«Les dalits ont beaucoup souffert en raison de leur statut de caste inférieure. Pendant des siècles, ils n'ont pas été autorisés à se mélanger à d'autres», explique le chef adjoint du district, Bam Bahadur KC, à l'AFP.

«Ils sont donc restés très isolés et continuent de suivre d'anciennes coutumes et le changement ne se fait que très lentement», poursuit-il.

Les familles de dalits peinent à joindre les deux bouts, et leurs enfants sont fréquemment contraints de quitter l'école pour travailler.

Danar Sunar, aînée de sept enfants désormais âgée de 18 ans, était la dernière dalit de sa classe. Alors que tous les autres avaient abandonné l'école, elle rêvait encore de devenir institutrice.

Mais elle a été enlevée à 14 ans et mariée de force à un agriculteur de 18 ans gagnant 50 $ par mois.

«J'ai pleuré, pleuré. Comme si une porte s'était fermée devant moi et que tous mes rêves s'étaient envolés», raconte Sunar.

Ses beaux-parents l'ont poussée à quitter l'école pour travailler dans les champs et à la maison. Mère de jumeaux de six mois, elle décrit sa nouvelle vie comme «une lutte quotidienne».

«Nous n'avons jamais assez d'argent, parfois nous ne mangeons qu'une fois par jour. Je ne sais pas comment je vais élever ces enfants», dit-elle.

«Une tradition terrible»

Pour les experts, les conséquences de ces mariages précoces sont catastrophiques.

«Les adolescentes sont des enfants très jeunes, elles sont incapables de se concentrer sur leur éducation et tant les mères que les bébés connaissent des problèmes de santé», explique Kunga Sanduk Lama, un responsable gouvernemental spécialisé dans les droits de l'enfant.

Selon lui, la loi est inefficace, l'absence des preuves (documents, photos, témoignages) indispensables pour prouver qu'il y a eu un mariage forcé empêchant de poursuivre les responsables.

Les militants des droits de l'enfant misent plutôt sur les campagnes à la radio et auprès des jeunes pour améliorer la prise de conscience.

Les victimes n'ont, elles, pas besoin d'être convaincues. Susmita, qui poursuit ses études en troisième, espère voir de son vivant la fin de cette «terrible coutume».

Pour son père, cordonnier gagnant 80 $ américains par mois, l'envoyer à l'école est un défi. Rien que l'uniforme coûte 45 $. Mais sa famille promet de tout faire pour qu'elle puisse continuer sa scolarité.

«Je veux que ma fille puisse avoir la chance de voler de ses propres ailes», dit sa mère.

«Je pense qu'elle a bien fait de s'enfuir. Elle est plus courageuse que moi, je n'ai jamais eu l'impression d'avoir le choix».