Les menaces toujours plus fortes de la Corée du Nord ont donné lieu à des réponses, en actes et en paroles, inhabituellement fermes de la part des États-Unis, une surenchère qui pourrait transformer les tensions sur la péninsule en jeu dangereux, selon les analystes.

En rendant publics les vols d'entraînement de ses bombardiers B-52 et chasseurs furtifs dans le ciel sud-coréen, Washington a pu sembler exciter la Corée du Nord, déjà lancée dans une rhétorique mêlant fureur et menaces d'apocalypse.

«Il semble y avoir cette fois dans la réponse américaine un élément "montrons qu'on se prépare au combat"», déclare Paul Carroll, du centre américain d'études et de recherche Ploughshares Fund.

Samedi, la Corée du Nord a annoncé être «en état de guerre» avec la Corée du Sud. Les deux Corées sont toujours techniquement en guerre puisque la Guerre de Corée de 1950-53 s'est terminée par un armistice et non par un traité de paix.

Depuis des décennies, la péninsule coréenne est régulièrement secouée par de brusques montées de tensions, qui suivent à peu près toujours le même schéma: menaces de plus en plus féroces de la part de Pyongyang, puis décélération et retour au calme.

Le fondateur de la Corée du Nord, Kim Il-Sung, et son fils Kim Jong-Il, étaient passés maîtres dans ce jeu à haut risque de diplomatie sur le fil, qui a pu aller jusqu'à l'explosion d'un avion de ligne sud-coréen en 1987 ou au bombardement d'une île sud-coréenne en novembre 2010.

Mais dans la crise actuelle, qui a vu le Nord réagir avec fureur à un nouveau train de sanctions de l'ONU et aux manoeuvres conjointes annuelles américano-sud-coréennes, le contexte et les acteurs diffèrent.

Au cours des quatre derniers mois, Pyongyang a réussi à lancer dans l'espace une fusée --un tir assimilé à celui d'un missile par Washington et ses alliés-- et a conduit un 3e essai nucléaire.

Ces deux succès ont poussé la Corée du Nord à tirer sur la corde tout en poussant les États-Unis à décider que les risques étaient trop importants pour rester en retrait.

«Les salves rhétoriques sont une chose, mais des tirs de missiles et des essais nucléaires, c'est autre chose», souligne Paul Carroll.

De plus, le Sud et le Nord ont actuellement à leur tête des nouveaux dirigeants dénués d'expérience: Kim Jong-Un au Nord, successeur de son père, et Park Geun-Hye, la nouvelle présidente à Séoul.

Pour Bruce Klingner, de l'Heritage Foundation à Washington, le danger de «mauvais calcul» est élevé chez le jeune dirigeant Kim Jong-Un, âgé de moins de trente ans.

Kim a été encouragé non seulement par les succès du tir de fusée et de l'essai nucléaire, mais aussi «par le fait que Séoul et Washington n'ont jamais répliqué fermement aux précédentes attaques meurtrières», estime-t-il.

Cette fois cependant, Séoul a assuré qu'il répliquerait. Et les avions militaires américains dans ses cieux montrent bien à la Corée du Sud qu'elle peut compter sur le soutien de son allié.

Peter Hayes, de l'Institut Nautilus, un centre d'études spécialisé sur l'Asie, estime que le B-52 notamment peut rappeler des souvenirs douloureux au Nord.

En 1976, après la mort de deux soldats américains lors d'une échauffourée à la frontière intercoréenne, les États-Unis avaient envoyé des bombardiers B-52 au-dessus de la péninsule, qui ont fait brusquement demi-tour avant d'entrer dans l'espace aérien nord-coréen. Henry Kissinger, alors secrétaire d'État, avait déclaré n'avoir «jamais vu les Nord-Coréens aussi effrayés».

L'expert estime que refaire un tel geste serait stupide, car cela réveillerait la peur enracinée au Nord d'une frappe nucléaire américaine.

Le déploiement des B-52, qui peuvent transporter des bombes nucléaires, «montre aussi que (le Nord) a atteint le statut sacré d'État doté de l'arme nucléaire, d'une importance suffisante pour provoquer une réponse qui s'appuie sur le nucléaire», déclare-t-il.

À ce stade, plusieurs scénarios restent possibles, mais les experts écartent un apaisement subit des tensions, ou une guerre classique au sol qui serait forcément perdue par le Nord.

Mais après avoir menacé Séoul et les États-Unis de tous les maux, avec en point d'orgue «une guerre thermonucléaire», Kim Jong-Un semble être dans une impasse et il doit agir au risque de perdre toute crédibilité, notent les analystes. Parmi les possibilités: un tir de missile de provocation au large du Japon.

Pour Scott Snyder, du Conseil des relations étrangères, puisque les États-Unis ont dit clairement ce que le Nord risquait s'il continuait sur cette voie-là, ils doivent à présent ouvrir une voie de secours au dirigeant.

«Les États-Unis et la Corée du Sud doivent faire un geste diplomatique vers le Nord pour lui permettre de faire baisser la tension, se calmer et changer de trajectoire», estime-t-il.