La Thaïlande est entrée dans une nouvelle phase de turbulences politiques avec une décision essentielle attendue fin février sur la saisie de la fortune de l'ex-premier ministre en exil Thaksin Shinawatra sur fonds de rumeurs non vérifiées de coup d'État.

Trois ans et demi après le putsch qui l'a chassé du pouvoir, l'homme d'affaires vit à l'étranger pour échapper à une condamnation pour malversations financières. Adulé par une partie du pays et détesté par l'autre, il est à la merci de la Cour suprême qui tranchera, le 26 février, sur le sort de ses 2,2 milliards de dollars d'actifs aujourd'hui gelés. Et cette échéance fait sensiblement monter la pression.

Les «chemises rouges», ses partisans qui recrutent dans les couches populaires et rurales du nord et du nord-est, promettent de manifester en masse pour faire pression sur les juges et sur le premier ministre, Abhisit Vejjajiva.

«Il y a toujours des gens qui poursuivent leur objectif de renverser le gouvernement», a admis Abhisit à l'AFP le week-end dernier.

Ce diplômé d'Oxford, 45 ans, est arrivé au pouvoir fin 2008 à la faveur de la chute d'un cabinet pro-Thaksin, sous la pression des «chemises jaunes», un mouvement dominé par les élites traditionnelles de Bangkok et viscéralement opposé au retour du magnat des télécoms.

Abhisit dirige aujourd'hui une coalition de six partis, aussi divisés que versatiles, dont certains menacent de grossir les rangs de l'opposition.

«La coalition a plus de chances de se maintenir que de s'effondrer», estime cependant Paul Chambers, de l'université allemande d'Heidelberg, relevant que le premier ministre garde la main, puisqu'il peut provoquer une élection anticipée qu'aucun de ses alliés n'a les moyens d'assumer.

«Abhisit a aujourd'hui plus à craindre d'attaques violentes sur sa personne que de tentatives de le pousser à quitter son poste», estime le politologue.

Lundi, des sacs d'excréments ont été lancés dans le jardin du chef du gouvernement, une agression attribuée aux «rouges» par le pouvoir quelques jours après qu'il eut prévenu du risque de violences politiques.

Un risque d'autant plus grand que l'armée, historiquement unie, donne elle-même des signes de fébrilité. En janvier, une grenade a été lancée sur le quartier général du chef de l'état-major, sans faire de victime. La police a inculpé lundi le général Khattiya Sawasdipol, partisan assumé de Thaksin, pour possession illégale d'armes.

Le cocktail est suffisamment épicé pour que la presse thaïlandaise se répande en scénarios-catastrophes: explosion de la majorité, violences des «rouges», scission au sein de l'armée, coup d'État.

«La vie politique thaïlandaise est immature», tempère un analyste occidental, qui ne croit pas au coup d'État imminent. «Je ne vois rien qui permette de penser que l'armée thaïlandaise est divisée. C'est une armée qui obéit».

Mais cette obsession du coup d'État illustre le fait que Bangkok se relève difficilement du putsch de 2006 qui, en chassant Thaksin, a aussi renversé l'unique premier ministre à avoir jamais été réélu.

Depuis cette date, «les militaires ont obtenu plus de prérogatives institutionnelles, tout en exerçant une plus grande influence informelle» sur la société civile, note Paul Chambers.

Jacques Ivanoff, anthropologue à l'Institut de recherche sur l'Asie du sud-est contemporaine (IRASEC), considère pour sa part que la démocratie thaïlandaise atteint ses limites.

«On a un scénario explosif, avec une situation tendue qui va dans tous les sens, et un gouvernement qui ne peut pas bouger», résume-t-il. «Et quand la Thaïlande se pose trop de questions sur elle-même et ne sait plus où elle va, la seule institution qui fonctionne, ce sont les militaires».