Une nouvelle interdiction frappe les femmes et les familles afghanes. Dans la ville d’Herat, il leur est maintenant interdit d’entrer dans les restaurants avec jardins pour éviter le mélange des sexes en public. Quelques repères.

Que se passe-t-il à Herat ?

Depuis lundi, les autorités talibanes ont décidé de bannir l’accès des restaurants avec jardins ou espaces verts aux femmes et aux familles, et ce, en raison de plaintes émises par des religieux érudits et des membres du public face au mélange des sexes en public. Selon les mêmes plaignants, des femmes n’y porteraient pas le hijab ou le foulard islamique correctement.

Ah bon ! Les talibans réagissent aux plaintes ?

PHOTO OMID HAQJOO, ASSOCIATED PRESS

Un restaurant fermé par les talibans, lundi à Herat, en Afghanistan

Jointe par La Presse à Vancouver, Lauryn Oates, directrice générale de Canadian Women for Women in Afghanistan, pourfend cet argumentaire. « La raison invoquée par les talibans est une tactique qu’ils utilisent chaque fois qu’ils veulent implanter de nouvelles règles, dit-elle. Chaque jour, une nouvelle règle s’ajoute. Cela fait partie d’un modèle pour effacer les femmes des espaces publics. »

Quelles autres règles ont été adoptées ?

À leur retour au pouvoir, le 15 août 2021, les talibans exprimaient des intentions d’ouverture dans le but de se bâtir une crédibilité internationale. Mais dès septembre 2021, le droit à l’éducation des filles de 12 ans et plus est suspendu. En décembre 2022, l’accès aux universités est interdit aux femmes. Depuis le 24 décembre 2022, elles ne peuvent plus travailler pour des organisations non gouvernementales (ONG). Et depuis quelques jours, elles ne peuvent plus travailler pour l’ONU. Elles sont aussi bannies des lieux publics, des hammams et des salles d’entraînement. Toujours à Herat, on a cessé de leur délivrer des permis de conduire.

Cette interdiction dans les restaurants est-elle une première ?

Non. Le 12 mai 2022, des dépêches en provenance d’Herat indiquaient que les autorités talibanes avaient interdit aux hommes et aux femmes de manger ensemble au restaurant, incluant les couples mariés. La directive provenait du ministère de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice. Mais après trois jours, le régime taliban niait la nouvelle et indiquait qu’hommes et femmes pouvaient de nouveau manger ensemble.

Pourquoi Herat est-il sur la sellette ?

Parce que la ville est considérée comme progressiste au sein de ce pays au régime ultraconservateur. « Herat est une province populeuse avec de l’influence. Ailleurs, en Afghanistan, on regarde ce qui s’y passe, dit Lauryn Oates. C’est une province éduquée, proche de l’Iran, avec plusieurs écoles de filles. C’est peut-être à cause de cette culture plus libérale que les talibans ont voulu mettre les gens au pas. »

Est-ce que les règles sont partout les mêmes dans le pays ?

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Le restaurant Sky Game Net, à Herat, également visé par la nouvelle mesure, était fermé lundi.

« Non, répond Mme Oates. Les talibans ne sont pas habitués à gouverner. Leur façon de faire est inconstante et déconcentrée. Dans la province de Ghor, voisin d’Herat, on ne veut pas d’ONG et on leur est hostile. Alors que dans d’autres provinces, on leur demande d’être sur place, d’instaurer des programmes et on va leur donner l’aide de la police. Cela dit, le pouvoir est aux mains des talibans de Kandahar, qui sont les plus conservateurs. »

Et qu’en est-il des règles dans les restaurants ailleurs qu’à Herat ?

D’abord, il y a peu de restaurants, car la majorité des gens sont très pauvres, rappelle Lauryn Oates. « Plusieurs ont fermé leurs portes, dit-elle. Chez ceux qui restent ouverts, la mixité est l’exception, soit parce qu’on épouse les règles dictées par Kandahar ou simplement parce que les propriétaires les imposent d’eux-mêmes. » Un récent article du New York Times évoque un populaire restaurant de Kaboul où hommes et femmes mangent sur des étages séparés. En février, une entrepreneure afghane, Samira Mohammadi, a aussi attiré l’attention avec son restaurant Wawa de Kaboul, uniquement ouvert aux femmes et où tout le personnel est féminin. Mme Mahommadi a embauché plusieurs femmes orphelines, veuves et sans le sou.

Qu’en est-il ailleurs dans le monde musulman ?

Le dimanche 8 décembre 2019, le ministère des Municipalités et des Affaires rurales d’Arabie saoudite avait fait l’annonce que l’État mettait fin à une vieille tradition, à savoir la séparation des hommes et des femmes à l’entrée des restaurants et cafés du pays. Cet assouplissement faisait partie des initiatives de réformes lancées par le prince héritier Mohammed ben Salmane.

En savoir plus
  • 30 %
    Proportion des jeunes filles afghanes n’ayant jamais mis les pieds dans une école primaire
    SOURCE : Let girls and women in AfgHanistan learn !, article de l’UNESCO