(Pékin) La Chine a accusé vendredi le nouveau président de Taïwan Lai Ching-te de pousser cette île vers « la guerre » et menacé de réagir toujours plus fort jusqu’à « la réunification complète de la patrie », au deuxième jour de manœuvres militaires d’ampleur.

« Depuis sa prise de fonctions [lundi, NDLR], le dirigeant de la région de Taïwan a sérieusement remis en question le principe d’une seule Chine […], ce qui pousse nos compatriotes de Taïwan dans une situation périlleuse de guerre et de danger », a déclaré Wu Qian, le porte-parole du ministère de la Défense, dans un communiqué.

« Cela s’appelle jouer avec le feu et ceux qui jouent avec le feu se brûleront à coup sûr ».

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Le président de Taïwan Lai Ching-te

« Chaque fois que [le mouvement soutenant l’] “indépendance de Taïwan” nous provoquera, nous irons un peu plus loin avec nos mesures de rétorsion, jusqu’à ce que la réunification complète de la mère patrie soit réalisée », a mis en garde le porte-parole.

Ces déclarations surviennent à un moment où des navires de guerre et des avions de chasse chinois encerclent Taïwan, dont Pékin revendique la souveraineté, dans le cadre de manœuvres militaires baptisées « Joint Sword-2024A ».

« Depuis 7 h 14 aujourd’hui (19 h 14 heure de l’Est jeudi), 62 avions ont été détectés… dont 47 ont franchi la ligne médiane » dans le détroit de Taïwan, a affirmé le ministère taïwanais de la Défense vendredi soir dans un communiqué.

Il s’agit du plus grand nombre d’avions observés en 24 heures cette année. Le ministère a aussi recensé 27 navires de la marine et des gardes-côtes chinois, mobilisés pour ces exercices.  

Entamées jeudi matin dans le détroit, autour de Taïwan et près des îles alentour, ces manœuvres impliquent l’armée de terre, la marine, l’armée de l’air et l’unité des fusées.

Elles doivent durer jusqu’à vendredi inclus mais les analystes préviennent qu’elles pourraient être prolongées ou prochainement reconduites.

L’objectif est de vérifier la « capacité de prendre le pouvoir et de frappes conjointes, ainsi que de contrôle de territoires clés », a déclaré vendredi Li Xi, le porte-parole du commandement du théâtre oriental de l’armée chinoise.

Pékin avait présenté jeudi ces exercices militaires comme une « punition sévère » contre les « séparatistes » de l’île qui finiront « dans le sang », en réaction au discours d’investiture lundi de Lai Ching-te, perçu par la Chine comme un « aveu de l’indépendance de Taïwan ».

Ne pas « résister »

Dans ce contexte de tensions exacerbées, des dizaines de milliers de personnes ont envahi les rues autour du parlement de Taipei pour appeler la population à « défendre la démocratie » sur un autre front, en rejetant une série de propositions de loi visant à étendre le pouvoir du Parlement.

Objet du litige : cinq propositions de loi en cours d’examen au Parlement, proposées par le plus grand parti d’opposition de Taïwan, le Kuomintang (KMT), considéré comme favorable à Pékin, et le nouveau Parti du peuple de Taïwan (TPP).

Les partisans de ces lois affirment qu’elles sont nécessaires pour lutter contre la corruption. Le Parti démocrate progressiste (PDP) au pouvoir assure en revanche que ces projets de loi ont été présentés sans une consultation adéquate.

L’une des infractions les plus controversées est celle d’« outrage au Parlement », qui criminalise les fonctionnaires peu disposés à coopérer dans le cadre d’enquêtes législatives.

Cette question qui domine les conversations sur l’île depuis la semaine dernière a même éclipsé l’annonce des manœuvres militaires chinoises.

Vendredi, les officiers de la marine chinoise ont appelé leurs homologues taïwanais à ne pas « résister à la réunification par la force », selon la télévision d’État CCTV.

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Un écran à Pékin montre les exercices militaires dans les zones autour de l’île de Taïwan menés par la Chine.

Sur un graphique animé de l’armée chinoise, on voit une pluie de missiles s’abattre sur des cibles clés de l’île, avec un message affirmant que cela permettrait de « couper les vaisseaux sanguins de l’indépendance de Taïwan ».

Dans la journée, « de nombreux groupes d’avions de chasse chargés de munitions réelles se sont rapidement dirigés vers l’espace aérien ciblé », a signalé la télévision d’État CCTV, évoquant « des frappes simulées contre des cibles importantes ».

Quatre navires des gardes-côtes chinois sont entrés dans la matinée dans les « eaux interdites » de deux îles taïwanaises, ont dit les gardes-côtes taïwanais, qui ont « exhort[é] la Chine à faire preuve de retenue et à immédiatement cesser son comportement irrationnel ».

Taïwan « défendra les valeurs de liberté et de démocratie », a lancé jeudi M. Lai.

Appel de l’ONU

La Chine estime que Taïwan est l’une de ses provinces, qu’elle n’a pas encore réussi à réunifier avec son territoire depuis la fin de la guerre civile et l’arrivée au pouvoir des communistes en 1949.

Depuis quelques années, elle accroît ses menaces et les pressions politiques, économiques et militaires sur Taïwan.

L’ONU a appelé toutes les parties à « s’abstenir de toute action pouvant aggraver les tensions ».

La République populaire de Chine dit privilégier une réunification « pacifique » avec le territoire insulaire de 23 millions d’habitants mais n’exclut pas d’employer la force.

A sa prestation de serment lundi, Lai Ching-te avait appelé la Chine à « cesser ses intimidations politiques et militaires ».

Les séparatistes taïwanais « seront cloués au pilori pour l’Histoire », avait réagi le lendemain le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi.

Les précédentes manœuvres militaires chinoises d’ampleur autour de Taïwan avaient eu lieu en août 2023 après une visite de M. Lai, alors vice-président, aux États-Unis.

Pékin avait également procédé à des exercices d’une envergure historique en août 2022 après le séjour sur cette île de Nancy Pelosi, alors présidente de la Chambre des représentants américaine.