Tout ce que le gouvernement américain a raconté sur la mort d'Oussama ben Laden est un «mensonge». Foi de Seymour Hersh, célèbre journaliste américain, qui vient de jeter un pavé dans la mare en présentant une nouvelle version de ce fait d'armes dont s'enorgueillit Barack Obama. Quatre questions pour comprendre une thèse décoiffante et son auteur controversé.

Que raconte Seymour Hersh?

Dans un article-fleuve publié dimanche par le London Review of Books, le journaliste de 78 ans raconte qu'Oussama ben Laden a été capturé en 2006 par le Pakistan et assigné à résidence à Abbottabad, avec le soutien financier de l'Arabie saoudite.

Les États-Unis ont appris l'emplacement de son refuge grâce à un officier militaire pakistanais, qui s'est présenté un jour à l'ambassade américaine d'Islamabad. Quand ils ont su où se trouvait le chef d'Al-Qaïda, les Américains ont placé les généraux pakistanais devant un choix: ou bien vous nous aidez à tuer ben Laden, ou bien nous mettons fin à notre aide militaire à votre pays.

La nuit du raid à Abbottabad, le 2 mai 2011, les Navy Seals n'ont rencontré aucune résistance. C'est en fait un agent des services de renseignement pakistanais qui les a accompagnés jusqu'à la chambre de ben Laden, dont le corps a littéralement été dépecé par les balles américaines.

Toujours selon Hersh, les restes du chef d'Al-Qaïda n'ont pas été inhumés en mer, mais éparpillés au-dessus des montagnes de l'Hindu Kush. Autre détail: les Navy Seals n'ont saisi aucun document dans le refuge de ben Laden.

Quelles sont les sources du journaliste?

Seymour Hersh appuie sa version sur les confidences de deux sources: Asad Durrani, chef des services de renseignement pakistanais de 1990 à 1992, et un ancien responsable du renseignement américain dont il préserve l'anonymat. Le journaliste ne produit aucun document pour étayer sa version.

NBC News a néanmoins affirmé lundi avoir confirmé auprès de deux sources américaines un élément de la version du journaliste: un officier militaire pakistanais se serait bel et bien présenté à l'ambassade américaine d'Islamabad pour informer la CIA de l'emplacement du refuge de ben Laden et réclamer la récompense de 25 millions offerte pour sa capture. Le récit officiel de la longue traque menée par des analystes de la CIA aurait pu servir à camoufler le rôle de ce précieux informateur.

Cela dit, NBC News précise que son information ne confirme pas le reste de la version de Hersh.

Que disent l'administration Obama et les critiques de Hersh?

Pour la Maison-Blanche, les accusations de Seymour Hersh sont «sans fondement». Même son de cloche du côté du Conseil de sécurité nationale, qui juge qu'«il y a trop d'inexactitudes et d'affirmations sans fondement dans cet article pour y répondre point par point». Dans un article factuel sur la version de Hersh, le New York Times souligne que celle-ci suppose un camouflage impliquant des dirigeants et bureaucrates de trois pays (les États-Unis, le Pakistan et l'Arabie saoudite). Le quotidien inclut parmi ceux-ci un agent du FBI qui a témoigné au procès d'un membre d'Al-Qaïda à New York, en février. Celui-ci a notamment raconté qu'il avait passé 17 heures à faire l'inventaire des ordinateurs, disques durs et autres documents saisis par les Navy Seals à Abbottabad. Or, selon Hersh, ces documents n'existent pas.

Le spécialiste d'Al-Qaïda Peter Bergen a raconté de son côté avoir visité le refuge de ben Laden avant sa démolition, et y avoir vu plusieurs impacts de balle dans les murs témoignant d'une fusillade dans la nuit du raid. Dans une longue analyse des «incohérences» de la version de Hersh, Max Fisher, du site Vox, s'est pour sa part demandé pourquoi les responsables de l'armée et du renseignement pakistanais auraient collaboré à un «faux raid» qui les a humiliés.

Seymour Hersh a-t-il développé un faible pour les théories conspirationnistes?

La version de Seymour Hersh n'est pas nouvelle. Une spécialiste du renseignement, R.J. Hillhouse, l'avait présentée en 2011 dans l'indifférence générale. Reprise par Hersh, elle a vite fait le tour du monde. Celui-ci est devenu une figure légendaire du journalisme grâce à un article d'enquête sur le massacre de My Lai, où plusieurs centaines de civils vietnamiens avaient été tués par des soldats américains en 1968.

Hersh a consolidé cette réputation en 2004 en dévoilant le scandale des sévices infligés aux détenus d'Abou Ghraib dans les pages du New Yorker. Ce magazine a cependant refusé de publier l'article de son collaborateur sur la mort de ben Laden.

Hersh a été accusé ces dernières années d'avoir développé un faible pour les théories de conspiration. Il a notamment attribué à un complot ourdi par la Turquie et Al-Qaïda l'attaque à l'arme chimique d'août 2013 attribuée à la Syrie par les États-Unis et des groupes de défense des droits de la personne.