Six ans après sa mort, quel héritage laisse Jean-Paul II? Nous avons posé la question à trois spécialistes: Gilles Routhier, prêtre diocésain qui enseigne la théologie à l'Université Laval; John Allen, vaticaniste de l'hebdomadaire américain The National Catholic Reporter; et Nicolas Steeves, ancien avocat français devenu jésuite qui vient de publier le livre Le Vatican: du mythe à la réalité.

Q: Le legs de Jean-Paul II est-il différent aujourd'hui par rapport au moment de sa mort?

R: John Allen: La principale nouveauté est la force renouvelée du débat sur les agressions sexuelles. On voit Jean-Paul II sous un aspect moins favorable. Mais ça n'entache pas l'affection populaire à son égard. Le scandale a surtout affecté les gens qui admiraient l'humanité de Jean-Paul II, mais étaient mal à l'aise face à l'Église, notamment à cause des questions de la contraception et de l'avortement.

Q: Cette question entachera-t-elle sa réputation comme l'Holocauste l'a fait pour Pie XII?

R: Gilles Routhier: Il faudra attendre le verdict de l'histoire, dans 75 ou 100 ans. Pour Pie XII, il a fallu une procédure spéciale pour ouvrir les archives de son pontificat, près d'un demi-siècle après sa mort, parce que la question de l'Holocauste était particulièrement brûlante. Pour le moment, tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il est possible que Jean-Paul II ait été fautif, mais qu'il est trop tôt pour le conclure formellement.

Q: Quels autres aspects de son pontificat sont encore pertinents aujourd'hui?

R: John Allen: Pour ce qui est de l'Église catholique, l'accent sur la communication avec le monde, très certainement. On l'a vu avec l'entretien qu'a accordé Benoît XVI au printemps à la télévision italienne le jour du Vendredi saint, où il a répondu à des questions soumises à l'avance. C'est une innovation sans précédent. C'est particulièrement important parce que ce précédent a été le fait d'un pape qui n'est pas un grand communicateur, même s'il a une capacité hors pair d'expliquer en termes simples l'enseignement de l'Église.

Q: Sa capacité à communiquer a-t-elle eu des effets à long terme?

R: Nicolas Steeves: Il a fourni une solution de rechange à l'idéal de jeunesse, de beauté, de succès et de force qui afflige la société moderne. Son image dans les dernières années de sa vie, où il était malade et souffrant, mais revendiquait toujours sa place, a marqué les jeunes qui se sentent piégés par le matérialisme. C'était particulièrement crédible parce qu'il avait été lui-même sportif, infatigable. Il a redonné sa légitimité à l'imagination, l'idée qu'on peut s'imaginer autrement, qu'on peut souhaiter être meilleur, qu'il s'agisse de sexualité ou de moralité dans son sens plus large. Mon doctorat porte justement sur le lien entre foi et imagination. Jean-Paul II séduisait tout comme Martin Luther King, quand il disait «I have a dream».

Q: Est-il le pape qui a figé la position de l'Église sur l'avortement et la morale sexuelle?

R: Nicolas Steeves: La société a mal compris qu'il proposait des exemples, pas des règles que tout le monde doit suivre. Les jeunes l'ont bien assimilé: la société de consommation étant ce qu'elle est, il leur est difficile de vivre l'idéal proposé par l'Église, par exemple en matière de contraception ou d'avortement. Ça n'empêche pas que c'est un idéal auquel ils aspirent, quand ils se sentiront libres de faire ce qu'ils veulent de leur corps. Jean-Paul II n'est pas le premier à avoir mis l'accent sur la dignité du corps humain, Pie XII avait lui aussi parlé de la nécessité du plaisir sexuel dans le mariage. Mais comme il avait côtoyé des jeunes au début de sa prêtrise, il comprenait très bien leurs aspirations.

Q: Son long pontificat, le troisième de l'histoire, lui a-t-il permis d'imposer de nouveaux rituels?

R: Gilles Routhier: Les Journées mondiales de la jeunesse sont là pour rester. Et aussi les rencontres d'Assise, où le pape rencontre les chefs d'autres religions. Benoît XVI a décidé de poursuivre dans cette voie en célébrant le 25e anniversaire de la première rencontre d'Assise, même s'il n'était pas très chaud à l'idée quand il était simple cardinal.