Les tenants de la thèse du profilage racial ont encaissé une défaite mineure, mardi, au palais de justice de Montréal, lors d'une audience spéciale de l'enquête publique du coroner sur la mort de Fredy Villanueva.

Au terme d'un débat de juristes, le coroner ad hoc André Perreault a refusé que soit transmis aux parties intéressées l'ensemble du cahier de travail qu'avait en sa possession le policier Jean-Loup Lapointe le jour où il a abattu le garçon de 18 ans. «Bien peu de choses dans ce carnet sont pertinentes», a-t-il laissé tomber.

Il a cependant accepté qu'on leur remette, en version censurée, quatre extraits du cahier qu'il a jugés pertinents, soit trois pages et deux passages d'une quatrième. Le document complet compte bien au-delà de 100 pages.

Ce type de cahier, que les policiers appellent leur «book» et dont le contenu varie d'un agent à l'autre, contient des informations au sujet d'individus qu'ils jugent d'un intérêt particulier. Il est régulièrement mis à jour.

Plusieurs avocats du camp Villanueva espéraient mettre la main sur le cahier de l'agent Lapointe, croyant qu'il les aurait peut-être aidés à démontrer que les membres des minorités ethniques retenaient l'attention des policiers de manière excessive à l'époque du drame. Mais il leur aurait fallu pour cela obtenir le document en entier.

Parlant au nom de plusieurs d'entre eux, Me Pier Bélisle avait cité le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, qui avait déclaré au moment d'annoncer la tenue d'une enquête du coroner, il y a plus d'un an, que celle-ci allait révéler «les raisons, les émotions et les motivations» derrière la tragédie.

Le contenu du document explique peut-être les décisions et actions «disproportionnées» de Jean-Loup Lapointe, avait affirmé son collègue Alain Arsenault.

L'avocat de la Ville de Montréal et de son Service de police (SPVM), Pierre-Yves Boisvert, avait ensuite noté que Me Arsenault ne savait pas ce que contenait le fameux cahier. «En l'entendant, je vois à quel point il ne le sait pas», avait-il déclaré, tout en l'accusant d'aller à la pêche.

En tout début de journée, il s'était opposé à ce que le carnet soit distribué. Il soutenait qu'il était protégé par «un privilège d'immunité d'intérêt public», c'est-à-dire qu'il s'agissait d'un document secret.

Me Boisvert avait maintes fois répété qu'il n'était d'«aucune pertinence». Il n'y voyait «pas l'ombre du commencement d'une pertinence. (...) Ca n'explique en rien ce qui s'est passé ce jour-là.»

Il avait cependant précisé qu'il pouvait accepter que deux extraits du cahier soient transmis aux autres avocats.

L'avocat de la Ville de Montréal estimait par ailleurs qu'il était prématuré, à ce moment, de même poser la question de la pertinence - il souhaitait attendre le témoignage de l'agent Lapointe -, et que le coroner Perreault n'avait de toute façon pas l'autorité de lever la protection sur ce document. Il avait estimé que cette décision devait revenir à la Cour supérieure.

André Perreault n'a pas retenu la plupart des arguments de Me Boisvert, mais celui-ci a néanmoins semblé trouver sa décision acceptable. Il ne s'est pas adressé aux journalistes pour le confirmer.

A sa sortie de la salle d'audience, Me Arsenault ne s'est pas montré trop déçu lui non plus. «On en a plus qu'on voulait nous en donner, c'est déjà bien», a-t-il lancé.

«Peut-être que dans les quatre dossiers de ce carnet-là, on va en avoir assez pour mettre dans un ensemble d'arguments, qui vont démontrer un certain nombre de choses, dont ce qu'on appelle du profilage», a avancé l'avocat de Jeffrey Sagor Metellus, blessé dans le drame du 9 août 2008.

Il a aussi dit avoir d'autres cartes dans son jeu: «le carnet, c'est, selon nous, un moyen parmi tant d'autres».

Les audiences régulières de l'enquête doivent reprendre le 2 février.