En passant en revue les affaires judiciaires de la Nouvelle-France, on n'est pas pris de nostalgie pour la justice française.

En 1734, une esclave noire déclarée coupable d'avoir déclenché un grand incendie à Montréal fut condamnée à être torturée puis, après avoir fait «amende honorable», on la brûlerait vive.

En appel, on décida toutefois que Marie-Josèphe-Angélique n'aurait pas la main coupée et qu'on la pendrait avant de la brûler.

La torture en Nouvelle-France était utilisée autant comme méthode d'interrogatoire (la «question») que comme châtiment. On l'appelait le supplice de la roue, qui a connu mille variantes. L'idée était généralement d'attacher le condamné sur une roue et de lui rompre les os des jambes et des bras avant de le pendre ou de le laisser mourir sur place.

Les meurtriers, les traîtres, les déserteurs pouvaient avoir droit à ce traitement. Mais également les faux-monnayeurs et, au XVIIe siècle, des coureurs des bois. On voulait contrôler le monopole de la traite des fourrures et éviter la fuite des colons, déjà rares. Il fallait donc une permission pour aller en forêt ou quitter sa maison plus de 24 heures. On pendit donc à Québec, en 1674, Jean Thomas dit LeBreton, pour avoir couru les bois sans permission.

Un soldat nommé Jacques Pourpoint déserta son régiment et viola une femme en 1686, Il fut condamné à être «pendu et étranglé» après avoir été «conduit, nu, en chemise, une torche ardente au poing devant la principale porte de l'église paroissiale, pour y demander pardon à Dieu». Et «pour plus grand exemple», on ordonna que sa tête soit coupée et mise au haut d'un pieu qu'on est allé planter sur la grand route.

Les procès étaient secrets. Il n'y avait pas de jury. Les avocats étaient interdits en Nouvelle-France. Les règles de preuve imprécises et les magistrats sans formation juridique.

Nouveaux bourreaux

Les Anglais, qui avaient aboli la torture depuis presque 100 ans, se vantèrent donc en prenant le contrôle de la colonie, d'apporter au Canada une justice à la fois «ferme et douce», pleine de bienfaits pour le citoyen.

D'abord, la justice anglaise est publique. Les châtiments corporels sont limités. Un grand jury d'une vingtaine de citoyens doit autoriser le dépôt des accusations graves, ce qui est un contrepoids à l'arbitraire du gouverneur. Un jury doit ensuite juger l'accusé, qui jouit de la présomption d'innocence. En droit anglais, jusqu'à la fin du XIXe siècle, l'accusé n'a pas seulement le droit au silence: il n'a même pas le droit de témoigner. La justice anglaise connaît également le fameux habeas corpus, qui permet de contester en tout temps la légalité de sa détention.

Voilà bien des progrès, apparemment.

En pratique, toutefois, la justice anglaise de l'époque n'est pas nécessairement moins cruelle. D'abord, pas moins de 200 infractions, du simple vol au meurtre en passant par le «déguisement en forêt» (la faute à Robin des bois?), sont passibles de la peine capitale.

Mais surtout, les magnifiques garanties contre les abus sont rarement offertes au commun des criminels. Surtout pas en période de crise.

En 1797, on condamne à Québec l'Américain David MacLane, pour avoir tenté de fomenter une révolution inspirée de celle de 1789. Le juge William Osgoode, qui a laissé son nom à une vénérable faculté de droit à Toronto, ne se contenta pas de le condamner à mort.

Vous serez, lui dit le juge, «pendu par le cou, mais non pas jusqu'à ce que mort s'ensuive; car vous devez être ouvert en vie et vos entrailles seront attachées et brûlées sous vos yeux; alors votre tête sera séparée de votre corps qui doit être divisé en quatre parties.»

Magnanime, le bourreau le pendit avant de l'éviscérer.

Le droit des colonies

Dans les faits, selon le professeur Michel Morin, on est incapable de voir une grande différence dans l'application du droit criminel entre les dernières années du régime français et les premières du régime anglais.

Si l'on avait interdit les avocats en Nouvelle-France sur ordre du roi, pensant éviter l'esprit de chicane et les querelles oiseuses, il était interdit pour les crimes les plus graves sous le régime anglais, essentiellement pour les mêmes raisons. On craignait que des coupables s'en tirent par une astuce d'avocat. Ce n'est qu'en 1836 qu'on permettra aux personnes accusées de «félonie» (crimes les plus graves) d'être représentés par avocat.

Si les accusations sont filtrées par un grand jury, il peut arriver qu'une personne soit détenue pendant des mois sans être accusée.

La loi anglaise oblige les juges à prononcer la peine de mort beaucoup plus souvent. Toutefois, le grand jury, en rejetant les accusations les plus graves, ou le jury du procès, en acquittant des crimes capitaux, tempère la sévérité de la loi.

Au total, de dire le professeur Morin, «rien ne permet d'affirmer que, aux yeux des contemporains, le droit pénal anglais était manifestement plus doux que celui de la France». Notamment parce qu'ils n'étaient pas en mesure de comparer les deux systèmes. On ne peut pas croire, non plus, que les erreurs judiciaires aient été plus nombreuses sous l'ancien régime.

En outre, la brutalité des lois française n'a pas été mise à exécution très souvent. Si la torture est permise, elle est réservée à des cas «rarissimes». Entre 1712 et 1748, on a recensé seulement trois cas de torture, donc dans moins de 1% des dossiers. Le supplice de la roue n'a été infligé que dans trois des trente-huit condamnations à mort pendant cette période.

«On cherche donc en vain un témoignage d'admiration du droit anglais» dans les premières années du nouveau régime, constate le chercheur.

L'indépendance des juges

Dans les périodes troubles, des juges sont carrément destitués par le gouverneur pour avoir appliqué l'habeas corpus, suspendu à de nombreuses reprises.

Ce fut le cas du juge Philippe Panet, en 1838. Bien que l'habeas corpus ait été suspendu à cause des troubles de la Rébellion, le juge l'appliqua tout de même à un américain accusé de haute trahison. Il déclara cette suspension inconstitutionnelle et ordonna même qu'on emprisonne le geôlier de la prison de Québec et qu'on accuse d'outrage au tribunal le commandant de la citadelle de Québec, qui détenait l'Américain. Colbourne l'a suspendu et annulé toute ses ordonnances.

L'indépendance des tribunaux, acquise depuis 1701 en Angleterre, n'est en effet importée dans la colonie qu'en 1843. Avant, le gouverneur peut faire ce qu'il entend avec les juges qui lui déplaisent.

Lord Durham, dans son fameux rapport de 1840, constate par ailleurs que le système des procès par jury a ses failles. «Chaque race compte sur le vote de ses compatriotes pour échapper à la justice», écrit-il. L'acquittement est la règle pour le malfaiteur, anglais ou français, dans la mesure où il réussit à exclure du jury suffisamment de candidats de «l'autre race». C'est par ailleurs l'anglais qui est la langue des tribunaux jusqu'à la deuxième moitié du XIXe siècle.

Cela dit, la justice civile française ayant été garantie en 1774, il semble que les Québécois ne se soient pas plaints du nouveau système de justice criminelle anglais et n'ont pas réclamé le retour au système français.

Un certain flou entourant les règles du droit criminel, on finit par décider de voter un Code criminel canadien, en 1892 -modifié au fil des ans, mais toujours en vigueur. Réduites à une quinzaine en 1850, les infractions entraînant la peine de mort sont réduites à trois dans le nouveau code : meurtre, viol, haute trahison.

On continuera à s'inspirer des innovations du droit anglais au Canada pendant le XXe siècle. L'adoption de la Charte des droits et libertés, en 1982, fixe dans la Constitution plusieurs protections élaborées au fil des siècles par les juges anglais et canadiens.

Depuis 1867, 701 personnes ont été exécutées au Canada. La peine de mort a été abolie en 1976 et le dernier condamné exécuté l'a été en 1962, à Toronto. Et à lire certains jugements de la Cour suprême, on peut avancer que si on tentait de réintroduire ce châtiment, les juges le déclarerait inconstitutionnel.Sources : Luc Huppé, Histoire des institutions judiciaires du Canada, Wilson & Lafleur, 2007.

Michel Morin, Portalis contre Bentham ? Commission du droit du Canada, 1999.

Martin L. Friedman, l'Indépendance et la responsabilité de la magistrature au Canada, Conseil canadien de la magistrature, 1995.

Daniel Proulx, Juges, policiers et truands, Méridien, 1999.

Raymond Boyer, Les crimes et les châtiments au Canada français, Cercle du livre de France, 1966.

Denyse Beaugrand-Champagne, Le procès de Marie-Josèphe-Angélique, Libre Expression, 2004.

Rapport Durham, L'Hexagone, 1990.