Les gangs de rue n'ont pas de difficulté à recruter des mineures à Montréal. Malgré les nombreuses activités de prévention, les adolescentes se jettent quand même dans la gueule du loup, constatent à regret la police et les organismes communautaires.

«Il semble qu'à l'heure actuelle, des filles se présentent d'elles-mêmes aux gars pour travailler pour eux. Il ne faut pas entendre par là que ce sont des filles toujours consentantes ou moins vulnérables, mais il y a quelque chose d'attirant là-dedans pour les filles aussi», explique la sexologue Évelyne Fleury, auteure d'une étude exploratoire sur la sexualité des membres de gangs de rue.

«Les filles participent jusqu'à un certain point, mais elles ne savent pas dans quoi elles s'embarquent», confirme le coordonnateur de Pact de rue, Robert Paris. Son organisme fait du travail de rue dans six quartiers de Montréal. M. Paris décrit ces adolescentes comme des «rejets sexuées». Il s'agit de jeunes filles rejetées avec une sexualité précoce. «Dans les années 90, les gars faisaient du taxage, mais ce n'était pas très payant. Puis ils ont découvert qu'ils pouvaient faire de l'argent avec des filles en quête d'amour», explique-t-il.

Même constat troublant chez les intervenants du quartier Saint-Michel, un quartier défavorisé où les Crips (Bleus) recrutent. «Les gars n'ont plus à travailler aussi fort qu'avant pour recruter des filles. Les filles trouvent ça cool», observe à regret le commandant du poste de police du quartier, Fadhy Dagher.

Le commandant Dagher n'a jamais vu de mineures faire le trottoir dans son quartier. «Les mineures travaillent dans les partys privés dans des appartements. Quand une fille est en fugue et qu'on soupçonne qu'elle est dans un gang, le premier endroit où fouiller, c'est les appartements vides», raconte le policier.

«Les filles valorisent ce genre de party. C'est pour cela que c'est si facile de les recruter», ajoute France Vallières, coordonnatrice de la table de concertation Action Saint-Michel qui regroupe une vingtaine de groupes communautaires, la Ville et des policiers du secteur. Et pourtant, beaucoup d'activités de prévention sont faites dans le quartier. «Les filles savent de plus en plus comment les gars recrutent, mais elles veulent travailler pour eux quand même», observe Mme Vallières.

Toujours dans le quartier, la directrice du Centre René-Goupil, Sylvie Pronovost, a récemment coincé une adolescente de 12 ans en train de faire une fellation à un inconnu pour 2 $ dans les toilettes. L'ado était en fugue du centre jeunesse. «La prévention doit commencer dès l'âge préscolaire, en présence des parents. Nos filles doivent absolument se valoriser avec d'autres choses que le sexe et les initiations de gangs», dit Mme Pronovost.

L'attrait du souteneur

Dans les vidéoclips et les films, l'image du souteneur est très glamour, souligne la sexologue Évelyne Fleury. Les adolescentes rêvent de sortir avec 50 Cent (chanteur de rap américain qui mène une vie de gangster). Et les adolescents rêvent d'être 50 Cent. «Dans un sens, les jeunes membres de gangs ne sont pas différents des autres jeunes. Ils reçoivent les mêmes messages de la société. Sexualité égale consommation», indique-t-elle.

Les gangs ne recrutent pas que dans Saint-Michel ou Montréal-Nord, les deux quartiers où le phénomène est apparu à la fin des années 80. Les proxénètes envoient des recruteurs rôder autour des polyvalentes. Ces recruteurs sont plus jeunes, de 16 à 20 ans, et n'ont pas de dossier criminel. «Les gars arrivent à deux, trois ou quatre dans une voiture. La police ne peut quand même pas leur interdire de se stationner devant l'école», souligne Robert Paris.

Ces recruteurs mettent la table, raconte le travailleur de rue. «Ils amènent la fille se faire rincer. Souvent dans un motel ou dans un appartement privé. Le gangbang est très dur. On brise ses protections. On pisse dessus, on la dope.»

Les filles qui participent à ces «gangbangs» (orgie organisée par un gang de rue) sont de plus en plus jeunes. «On voyait il y a quelques années des filles de 14 à 17 ans. Là, on observe des filles de 12 ans. Pour les gars, ces filles ne valent rien de mieux qu'une boîte de céréales», dit M. Paris.