Parler de qualité architecturale et d’aménagement harmonieux de notre territoire quand sévit une crise de l’ampleur de celle que nous connaissons actuellement en matière de logement peut sembler saugrenu.

Nul doute : la crise actuelle nous impose de prendre des mesures vigoureuses pour accélérer la construction. Or, il faut nous assurer que ces mesures respectent nos acquis et que nos ambitions et nos milieux de vie ne soient pas spoliés pour autant.

Garder le cap

À cet égard, le projet de loi 31 sur l’habitation, dont l’Assemblée nationale n’a pas encore achevé l’étude, contient une mesure qui nous apparaît fortement risquée : celle de permettre aux projets d’habitation de déroger à la réglementation d’urbanisme locale en vigueur. Même en imposant certaines conditions, cela pourrait ouvrir trop grand la porte à des dérives dont les conséquences pourraient grever de façon durable la qualité de notre environnement bâti.

Les plans d’urbanisme et les règlements de zonage, même imparfaits, sont des garde-fous qui orientent les interventions à venir en fonction de paramètres définis collectivement.

Ils créent une forme d’harmonie et, de ce fait, facilitent l’acceptabilité sociale des projets. C’est pourquoi certains processus ont été mis en place pour en baliser les modifications. Y déroger au cas par cas, aussi facilement que le permettrait le projet de loi sous sa forme actuelle, ne peut que briser cette harmonie si dure à atteindre.

Si certains plans d’urbanisme ne permettent pas une saine densification, laquelle est une solution sine qua non au problème du logement, il ne faut pas les contourner, mais les mettre à jour en faisant les efforts nécessaires pour le réaliser rapidement.

Des crises stimulantes

Avoir une vision et répondre à une urgence ne sont pas mutuellement contradictoires. Les crises sont souvent des vecteurs d’innovation. Mais pour qu’il y ait innovation positive, la cible doit être définie, les objectifs, clairs, et les moyens de mise en œuvre, appropriés.

Prenons l’exemple de cette idée, lancée par le ministre fédéral du Logement, de créer un catalogue de modèles d’habitations préapprouvés. Si ce catalogue a pour effet de stimuler la construction de bungalows privés, générateurs d’étalement urbain et de déplacements individuels énergivores, nous aurons échoué à bâtir quelque chose de pertinent et de cohérent avec notre époque.

Mais derrière cette idée, il y a aussi celle – plus porteuse – de pousser l’industrie de la construction vers la préfabrication pour réduire les délais de chantier.

On peut préfabriquer des unités qui, amalgamées l’une à l’autre, donnent de véritables milieux de vie. Cette approche n’oblige absolument pas à recourir à des plans de catalogue, bien au contraire, d’ailleurs, si l’on veut que ces milieux de vie soient intégrés à leur contexte. Les exemples ne manquent pas. Pensons à Habitat 67, de l’architecte Moshe Safdie, réalisé dans le contexte de l’Expo 67. Pensons aussi aux Habitations Quesnel, dans la Petite-Bourgogne, du défunt architecte Dan Hanganu. Issu de l’Opération 20 000 logements, un programme de la Ville de Montréal éminemment efficace visant à pallier la rareté de logements abordables dans les années 1980, ce projet est constitué d’unités préfabriquées, sans compromis sur la qualité.

Le temps de concevoir quelque chose de pertinent est ce qu’il y a de plus précieux dans tout le cycle de la naissance du construit. En faire l’économie, c’est bâcler le travail et dépenser des sommes astronomiques pour créer des erreurs.

En publiant la Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire l’an dernier, le gouvernement du Québec a pris acte de la beauté de notre territoire et a mis en œuvre plusieurs moyens pour la préserver, voire l’enrichir. Cette politique est porteuse de promesses rassurantes lorsqu’il est question d’offrir des milieux de vie complets, conviviaux et durables à tous les Québécois et Québécoises. Elle offre les outils pour encadrer sainement les mesures à prendre pour résoudre l’actuelle crise du logement. Il serait dommage de s’en passer.

Où voulons-nous vivre ? C’est à nous – professionnels, gouvernements, entrepreneurs, citoyens – de répondre à cette question, solidairement, efficacement et rapidement afin de désamorcer cette crise aux impacts potentiellement permanents sur nos modes de vie et notre bien-être. Le Québec, ce territoire magnifique, mérite une réponse à sa hauteur.

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