Chaque vendredi, nous revenons sur la semaine médiatique d’une personnalité, d’une institution ou d’un dossier qui s’est retrouvé au cœur de l’actualité

Nikki Haley n’a pas remporté la primaire du New Hampshire mardi, mais elle a suffisamment irrité son adversaire, Donald Trump, pour qu’il consacre une partie de son discours de victoire à la critiquer en des termes, disons, très « trumpiens ».

Il serait très surprenant que Nikki Haley soit encore dans le décor après la primaire de Caroline du Sud – État dont elle a été la gouverneure de 2011 à 2017 – qui aura lieu dans un mois. Cela dit, contrairement à Ron DeSantis – que beaucoup voyaient pourtant comme le plus farouche rival de Donald Trump –, elle aura été une candidate suffisamment sérieuse et crédible pour qu’on s’intéresse à elle aujourd’hui.

Une bonne communicatrice

Quand je demande à Élisabeth Vallet, directrice de l’Observatoire de géopolitique de la Chaire Raoul-Dandurand, si Nikki Haley a été le petit caillou dans la chaussure de Donald Trump, elle me répond du tac au tac : « Elle a été le GROS caillou dans la chaussure de Trump… »

Je voulais discuter avec elle de ce que représente Nikki Haley dans le paysage politique américain. Heureux hasard, Élisabeth Vallet, qui est aussi professeure d’études internationales au Collège militaire royal de Saint-Jean, l’a déjà rencontrée. « C’était il y a plus de 10 ans, à Montréal, dans une rencontre qui se tenait dans un cabinet d’avocats du centre-ville, me raconte-t-elle. Mme Haley s’adressait à un petit groupe dont je faisais partie. À l’époque, j’avais trouvé ses positions fiscales et économiques très à droite. Elles seraient sans doute perçues comme au centre dans le contexte d’aujourd’hui. »

Mme Vallet se souvient d’une femme agréable, bonne communicatrice, qui tenait des propos clairs. Tout le contraire de l’homme qu’elle a affronté cette semaine.

Plusieurs cartes dans son jeu

Si Nikki Haley se présentait en politique au Canada, où ses parents ont immigré du Pendjab avant de s’installer aux États-Unis, cette mère de deux enfants, diplômée en comptabilité et en finance, cocherait plusieurs cases gagnantes. Elle pourrait en outre incarner le renouveau d’un parti politique en déroute qui cherche ses repères. Mais aux États-Unis, tous les atouts de Nikki Haley sont des tares.

On assiste à une sorte de crispation aux États-Unis. [Les Américains] ne peuvent pas imaginer que ce soit quelqu’un d’autre qu’un homme blanc qui gagne l’élection. On observe une normalisation du discours misogyne et une reconsidération du rôle de la femme avec le débat sur l’avortement. Se présenter comme femme de couleur dans un tel contexte, c’est s’exposer à un discours sexiste et raciste.

Élisabeth Vallet, directrice de l’Observatoire de géopolitique de la Chaire Raoul-Dandurand

Les propos de Donald Trump vendredi dernier confirment l’analyse d’Élisabeth Vallet. Sur les réseaux sociaux, l’ancien président s’est moqué des origines de Mme Haley en l’appelant « Nimbra », une référence à son nom de naissance, Nimarata Nikki Randhawa, sachant très bien qu’il marquait des points auprès de ses supporters les plus racistes.

PHOTO JIM WATSON, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’ancien président Donald Trump accompagné de ses fils, pendant sa campagne au New Hampshire

« On l’a vu avec Kamala Harris qui s’est “blanchie” durant la dernière campagne, Nikki Haley n’a aucun avantage à jouer la carte de la diversité, note Élisabeth Vallet. Sans compter que le spectre de l’angry black woman [qu’on avait accolé à Michelle Obama] n’est jamais loin. »

Une dame de fer

Dans un pays où, il y a huit ans, on a passé plus de temps à se demander si la candidate démocrate à la présidence, Hillary Clinton, était « aimable » plutôt que « compétente », il ne faut pas s’étonner que la course à la Maison-Blanche soit particulièrement aride pour les femmes.

« Depuis 2001, on a pu voir une masculinisation du champ sémantique appliqué à la gouvernance des États-Unis », explique Élisabeth Vallet, qui cite le recours au titre de « commandant en chef », et la connotation de puissance qui s’y rattache, pour parler du président. « Que reprochait-on à Obama ? poursuit la professeure. De manquer de couilles ! Alors qu’on a félicité Trump d’avoir pris des décisions et de ne pas avoir “plié” dans plusieurs dossiers. »

On comprend mieux, dans ce contexte, pourquoi Nikki Haley a parlé à plusieurs reprises de son admiration pour Margaret Thatcher, la Dame de fer. Mme Haley a même volé à l’ancienne première ministre britannique une de ses célèbres citations pour en faire le titre de son livre, paru en 2022. If You Want Something Done… sont des mots tirés d’une déclaration de Mme Thatcher qui avait dit : « If you want someone to make a speech, ask a man ; if you want to get something done, ask a woman. » (Traduction : Si vous voulez que quelqu’un fasse un discours, demandez à un homme ; si vous voulez que quelque chose se fasse, demandez à une femme.). Ou comme chantait Dalida à Alain Delon : « Paroles, paroles, paroles… »

Une boule de cristal détraquée

Quel bilan faire du passage de la comète Haley ? Dans le New York Times mercredi, le chroniqueur Frank Bruni reconnaissait que Nikki Haley avait été une sorte de mirage pour les Américains, une bouée de sauvetage virtuelle qui s’éloignait à mesure que se confirmait le naufrage annoncé. Aujourd’hui, il n’y a plus de doute possible : Mme Haley est hors jeu.

Maintenant, qui peut prédire ce qui arrivera étant donné les déboires judiciaires du candidat Trump ?

« Les schémas de science politique ne s’appliquent plus avec Trump, me répond Élisabeth Vallet. On est en terrain inconnu depuis des années. J’espère que Nikki Haley a suffisamment d’estime d’elle-même pour ne pas s’écraser et aller rejoindre le clan Trump. »

La directrice de l’Observatoire de géopolitique de la Chaire Raoul-Dandurand voit difficilement comment l’ancienne ambassadrice des États-Unis à l’ONU pourrait rebondir et se représenter dans quatre ans. « Une campagne comme celle qu’elle mène coûte cher et c’est très éprouvant, dit-elle. Quatre ans, ça me semble court pour s’en remettre. »

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