Donald Trump a-t-il le droit d’être candidat à la présidence des États-Unis après avoir appuyé l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021 ?

La Cour suprême des États-Unis devra répondre à cette question au cours des prochaines semaines. Des citoyens contestent l’éligibilité de Donald Trump devant les tribunaux dans 35 États américains, faisant valoir que le 14amendement de la Constitution empêche une personne engagée dans une insurrection de briguer la présidence.

Personne n’aurait pu prévoir un tel scénario il y a un an. Dans un article publié en août dernier⁠1, deux juristes conservateurs de la Federalist Society faisaient valoir pour la première fois cette théorie, qui s’est vite retrouvée devant les tribunaux.

La cause la plus avancée est au Colorado, où le tribunal d’appel a déclaré Donald Trump inéligible à la présidence.

La Cour suprême tranchera la question pour tout le pays. Elle entendra les parties le 8 février et rendra possiblement sa décision avant les primaires du « Super Mardi », le 5 mars, quand les partisans d’une quinzaine d’États choisiront le candidat de leur parti à la présidentielle.

La Cour suprême devra essentiellement répondre à trois questions, et Donald Trump n’a besoin que de gagner un seul de ces débats pour poursuivre sa campagne. Examinons ces trois questions.

1. Lisez un article du New York Times sur la question (en anglais – abonnement requis)

Le 14amendement s’applique-t-il au président ?

PHOTO SAUL LOEB, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le Capitole, où siègent les représentants et les sénateurs américains, à Washington.

Si on lit attentivement l’article 3 du 14e amendement, on constate que sa portée est très large. Il s’applique à tous les fonctionnaires fédéraux, militaires et élus. L’article énumère à peu près tous les postes d’élus (sénateur, représentant au Congrès, élu d’une assemblée législative d’un État…), mais ne mentionne pas le président et le vice-président des États-Unis.

Donald Trump prétend donc que le 14e amendement ne s’applique pas à la présidence. C’est aussi ce qu’a conclu la juge de première instance au Colorado, Sarah B. Wallace, une juriste respectée sans affiliation politique préalable. Sa décision a été infirmée en appel par la Cour suprême du Colorado.

L’argument contraire, retenu par les juges majoritaires de la Cour suprême du Colorado ? Le 14e amendement s’applique explicitement à tout « fonctionnaire [officer] des États-Unis […] ayant prêté serment de défendre la Constitution des États-Unis ». Beaucoup de juristes pensent que cette définition inclut le président des États-Unis, qui prête serment de défendre la Constitution. La Constitution désigne aussi 25 fois la présidence des États-Unis comme une « charge » (office). Pourquoi aurait-on voulu interdire aux insurgés de se présenter à tous les postes électifs sauf le plus important ? C’est illogique.

L’esprit du 14e amendement devrait empêcher qu’un insurgé se présente à la présidence. Sauf que ce n’est pas écrit explicitement. On est ici sur une ligne juridique très mince. Empêcher une candidature à la présidence est un geste très lourd de conséquences.

L’article 3 du 14e amendement

« Nul ne sera sénateur ou représentant au Congrès, ni grand électeur [elector] du président et du vice-président, ni n’occupera un poste civil ou militaire aux États-Unis ou dans un État, qui, après avoir prêté serment, comme membre du Congrès, ou fonctionnaire [officer] des États-Unis, ou membre d’une législature d’État, ou fonctionnaire exécutif ou judiciaire d’un État, de défendre la Constitution des États-Unis, aura pris part à une insurrection ou à une rébellion contre celle-ci, ou donné aide ou secours à ses ennemis. Mais le Congrès pourra, par un vote des deux tiers de chaque Chambre, lever cette incapacité. »

Traduction libre

Trump a-t-il pris part à l’insurrection ?

PHOTO JIM BOURG, ARCHIVES REUTERS

Donald Trump a prononcé un discours devant ses partisans avant que ceux-ci ne marchent sur le Capitole, le 6 janvier 2021 à Washington.

L’assaut du Capitole est une tentative d’insurrection, il n’y a pas vraiment de débat juridique sur cette question.

Donald Trump fait toutefois valoir qu’il n’a pas participé à l’insurrection du 6 janvier, que ses discours sont protégés par le droit à la liberté d’expression garantie par le 1er amendement. Après tout, il n’est pas entré dans le Capitole.

Bien essayé, mais ça ne tient pas la route, ont conclu les tribunaux au Colorado. On peut prendre part à une insurrection en encourageant explicitement la violence dans un contexte d’insurrection, comme Trump l’a fait en prévision du 6 janvier 2021.

En première instance au Colorado, même si la juge a conclu au final que le 14e Amendement ne s’appliquait pas à la présidence, elle a aussi conclu que Trump a pris part à une insurrection. Pour tirer cette dernière conclusion, elle s’est basée sur l’ensemble des faits suivants admis en preuve au terme de cinq jours d’audience :

  • Trump a fait la promotion de la violence pendant des années.
  • Il a répété ses fausses allégations que l’élection a été volée pendant des semaines.
  • Il a incité ses partisans à la violence lors de son discours du 6-Janvier. (« Nous nous battons comme des diables. Et si nous ne nous battons pas comme des diables, nous n’aurons bientôt plus de pays. »)
  • Il n’a pas renforcé la sécurité au Capitole malgré les avertissements reçus.
  • Une fois que l’assaut du Capitole a commencé, il n’a rien fait pour l’arrêter jusqu’à 16 h 17, moment où il a publié une vidéo demandant aux assaillants de rentrer chez eux « en paix », tout en les louangeant. (« Nous vous aimons. Vous êtes très spéciaux. »)

La liberté d’expression est définie de façon extrêmement large aux États-Unis, mais elle ne permet pas nécessairement d’inciter à la violence. La jurisprudence actuelle de la Cour suprême n’est pas du côté de Trump⁠2. Elle estime qu’on peut tolérer dans certains contextes un appel hypothétique à une violence abstraite, au nom de la liberté d’expression (garantie par le 1er amendement). Mais on ne peut pas tolérer un appel concret à la violence, dans un évènement précis, en sachant qu’il sera compris ainsi par son auditoire, comme Donald Trump l’a fait le 6 janvier 2021, ont conclu les tribunaux du Colorado.

C’est clair : Donald Trump a « pris part » à l’insurrection du 6 janvier.

2. Brandenburg v. Ohio, 395 U.S. 444 (1969) ; National Association for the Advancement of Colored People v. Claiborne Hardware Co., 458 U.S. 886 (1982)

Trump doit-il être condamné au criminel ?

PHOTO SETH WENIG, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Donald Trump devant le tribunal pénal de Manhattan, en avril dernier. L’ancien président américain fait actuellement face à 91 chefs d’accusation dans quatre causes criminelles. Pour l’instant, il n’a été condamné dans aucune d’entre elles.

Le Parti républicain et Donald Trump invoqueront aussi des arguments de droit administratif, de respect des juridictions fédérale et étatiques et d’équité procédurale. De l’avis de beaucoup d’experts, c’est leur meilleure chance de succès.

Premièrement, le Parti républicain prétend que si le 14e amendement s’applique, il devrait s’appliquer uniquement si un candidat est reconnu coupable d’une infraction criminelle d’insurrection au niveau fédéral.

Ce n’est pas le cas de Donald Trump actuellement, même s’il est accusé au criminel d’avoir tenté de renverser les résultats de l’élection de 2020.

Deuxièmement, le Parti républicain fait aussi valoir que les différents États, responsables des primaires et des élections, n’ont pas le pouvoir administratif d’appliquer le 14e amendement sans une loi spécifique fédérale du Congrès ; or, une telle loi n’existe pas. Une loi d’un État ne compterait pas, selon le Parti républicain. Pour exclure Donald Trump, le Colorado s’est basé sur une loi du Colorado. Selon cette vision des choses, le 14amendement n’aurait donc aucune conséquence pratique.

Ce qui devrait arriver

PHOTO KENT NISHIMURA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

La Cour suprême des États-Unis aura le dernier mot sur l’éligibilité de Donald Trump à l’élection présidentielle.

Devrait-on exclure un candidat à la présidence sur la base d’une nouvelle interprétation d’un article de la Constitution qui n’est pas clair comme de l’eau de roche ?

Aussi dangereux que soit Donald Trump, je réponds que non. La justification juridique pour prendre une décision aussi lourde de conséquences est trop mince.

Mais mon opinion importe peu.

Le vrai verdict, celui qui va compter, sera celui de la Cour suprême des États-Unis, où six des neuf juges sont conservateurs.

Ma prédiction : ces six juges conservateurs vont permettre à Donald Trump d’être candidat à la présidence. Ils baseront leur décision sur le droit administratif ou le fait que le 14amendement ne mentionne pas explicitement la présidence. Une telle décision ne serait pas déraisonnable. Peut-être que certains des trois juges libéraux arriveront en partie à la même conclusion, par un chemin ou un autre.

Une décision unanime (ou quasi unanime) aurait le grand avantage de clarifier ce débat explosif une fois pour toutes, en ce climat clivé à l’extrême.

Avec le New York Times, Vox et The Atlantic

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