On ne sait pas lequel vit plus de lassitude : Justin, qui semble se lasser de sa vie et de son métier, ou la population du pays qui se lasse de Justin.

Ça ne prend pas une boule de cristal si lumineuse pour constater qu’actuellement, Justin Trudeau fait bâiller les Canadiens. Et, d’autre part, on sent parfois que lui-même a aussi les boules. Lassitude, toujours.

Tout le monde se demande si Justin devrait faire les prochaines élections. Ses propos semblent s’aplatir présentement dans l’indifférence collective. On a l’impression que le spring est cassé de son côté et que la population canadienne, elle, est déjà passée à autre chose.

S’il veut continuer, comme il l’a dit à La Presse la semaine dernière, il doit démontrer urgemment qu’il a du ressort, avec une vision et un projet pour ce pays, autrement la question sera de savoir qui osera le convaincre que son temps est fait.

Quand on est en politique, dans des conditions normales, conjoints, famille ou quelques amis très spéciaux demeurent nos meilleures boussoles. Ceux qui veulent vraiment notre bonheur, pas le leur.

Ça ne vient pas vraiment de l’entourage professionnel immédiat, des conseillers politiques, qui ont comme programme de rester au pouvoir, et de continuer à en jouir.

Les élus ? Pas beaucoup plus braves, mais ils n’en discutent pas moins entre eux. Je suis injuste. La bravoure n’est pas toujours en cause. Quand on aime et respecte un chef, il est difficile émotivement de lui avouer que le train arrive en gare.

Mais l’omerta demeure de mise, à moins qu’une couple de simples députés, convaincus qu’ils ne seront jamais ministres sous ce règne, ou par peur de ne pas être réélus, se la pètent au caucus et mettent le feu.

Là, ça peut dégénérer.

Et le réveil des ambitieux sonne. Et ce n’est pas péjoratif non plus : l’ambition est légitime. Et on devrait s’attendre à cela de certains ministres actuels, c’est plus que normal.

Mais peut-être aussi de corps étrangers, comme un dénommé Mark Carney, successivement gouverneur de la Banque du Canada et de celle d’Angleterre. Exactement le genre de personne que voudrait congédier Pierre Poilievre s’il était élu.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et de celle d’Angleterre

Sur la compétence financière, il est objectivement difficile de faire mieux pour un métier qui n’attire pas les meilleurs du milieu des affaires.

On a beaucoup fait de commentaires sur monsieur Carney ces derniers temps dans les médias canadiens-anglais, en comparant entre autres son arrivée éventuelle en politique active avec celle de l’ancien chef du Parti libéral du Canada Michael Ignatieff, un académique de haut niveau.

Et comme monsieur Carney s’est dit éventuellement intéressé par la tête du Parti libéral du Canada, ça titille.

J’ai connu monsieur Ignatieff, et je me permets de vous décrire un moment que nous avons vécu ensemble, et qui, selon moi, est symptomatique de son passage dans la jungle.

Il s’invite à luncher à l’hôtel de ville de Québec, et je l’accueille avec plaisir. Un moment très agréable parce que le gars est amène, et au demeurant, supérieurement intelligent. Un cocktail pas si courant.

Ainsi, nous avons des discussions de plusieurs coches au-dessus du niveau de la mer. Ça m’a fait du bien, après un avant-midi passé sur les systèmes de canalisations qui charrient les eaux usées…

On ne voit pas le temps passer, mais il faut bien finir par finir, et aller rendre compte aux médias du menu avalé durant ce repas.

Ainsi, nous allons scrummer et nous présentons devant le banc de piranhas, les journalistes – mes excuses aux pros du métier –, qui nous encercle et sent l’odeur du sang. Ça part en fou, et là, monsieur Ignatieff perd ses moyens, bégaie, se momifie. Et me voilà, petit maire de Québec, à tenter de contrer l’attaque et jouer au garde du corps.

De quoi je me mêle, moi là ?

Surréel et malheureux. Les médias font leur travail, et monsieur Ignatieff, déstabilisé, a de la misère à faire le sien, et répliquer à la meute. L’universitaire a complètement « gelé ». Diagnostic de la scène : il lui manquait du kilométrage au compteur, d’exercice au combat extrême, ou n’était pas fait pour la job.

Je vous en parle pour rappeler que Mark Carney a une carrière remarquable, mais dans des milieux aux pas feutrés, comme l’université, très, très civilisés. Et les banques centrales sont des bibittes où le politique ne doit pas intervenir, et où également on n’a pas vraiment de comptes à rendre au peuple, par les médias.

Oui, monsieur Carney pourrait probablement bien diriger le pays économiquement, mais le mandat est beaucoup plus large, et la pratique plus rugueuse que la moquette épaisse et ouateuse du banquier central. Aussi, faudra voir avant de crier au sauveur.

Quant à Justin, tout est possible et il pourrait étonner dans les deux prochaines années, d’autant que, même s’il mène dans les sondages, on ne sent pas de lien affectif entre monsieur Poilievre et la population. Au surplus, ce dernier devra faire deux ans sans exprimer de trop grosses âneries. Pas garanti du tout.

Mais sincèrement, difficile de voir comment Justin pourrait nous surprendre dans l’état actuel des choses, à moins qu’il ne se transforme en Hulk, ou frappe je ne sais quel grand chelem.

Quand on scrute les derniers sondages sur la question, on peut en conclure instinctivement que le Jell-O du mécontentement est pris au pays, et que Justin ne s’en remettra pas.

Les résultats du sondage Léger de la semaine dernière font même la preuve d’une situation alarmante au Québec.

Les fins de règne ne sont pas chics, généralement. On aurait le goût que le pays et son PM en soient exemptés.

Entre nous

J’ai tendance à être d’accord avec le gouvernement du Québec quand il dit que Radio-Canada devrait quitter le marché de la publicité. La résultante en serait de le laisser aux autres médias afin qu’ils survivent. Ce pays devrait être capable de soutenir une télévision d’État de qualité et investir les sommes égales pour combler cette perte dans les réseaux français et anglais. Nous devrions être aussi fiers que les Allemands et les Britanniques, qui paient beaucoup plus que nous pour ce service, selon Mario Girard de La Presse. Le gouvernement du Québec doit toutefois accepter de faire exactement la même chose avec Télé-Québec. Pour les deux gouvernements, le faire pour prioriser l’information et la culture sous toutes ses formes. Il en va également de notre avenir démocratique.

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