Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Dany Turcotte.

Nous voici enfin au mois d’avril, ce doux mois où nous sortons enfin du formol dans lequel l’hiver nous plonge pour admirer cet impressionnant phénomène de la nature qui ressuscite.

Pour moi, les pensées intrusives de jardinage commencent à bourgeonner autour de Pâques. Mon rapport au jardinage est ambivalent. Je fantasme de me voir sortir avec mon panier d’osier, portant salopette en jeans, brindille en guise de cure-dent et sifflotant la chanson Je ferai un jardin, de Clémence DesRochers. Pourtant, le souvenir des traumatismes de jardinier de mes dernières années fait toujours remonter les remugles de tous ces échecs et embûches rencontrés avant la récolte du premier radis.

Chaque printemps, telle une truite qui ne saisit toujours pas que derrière le ver, il y a un hameçon, je retombe dans le piège. On dirait que l’hiver cryogénise les souvenirs douloureux des multiples obstacles de l’agriculture. D’abord, il y a le choix du jour J pour la plantation. Je ne sais pas si vous avez déjà eu vent de la chose, mais nous habitons un territoire climatique hostile. On peut regarder la météo pour les 14 prochaines journées, ne pas apercevoir le moindre signe de gel, puis prendre la décision de passer à l’acte, même si les gens de la jardinerie ne le recommandent pas. Mais le soir de la pleine lune de juin, la météo bascule du côté sombre de la force et menace de tout tuer dans la nuit. Il faut alors passer en mode solution, recouvrir le jardin de bâches de plastique, croiser les doigts et les orteils, surveiller de façon compulsive le mercure chuter et regarder le jardin par la fenêtre en croyant que ça peut vraiment servir à quelque chose... Un coup de dés météo qui bascule sur le -6. Retour à la case départ et à la jardinerie, tous les gamblers du gel sont en ligne avec des chariots de nouveau remplis de plantes. La propriétaire à la caisse affiche un habile sourire qui combine empathie et amour du profit. Ces clients rebelles sont évidemment ses préférés. Les esprits tordus pourraient même oser croire à une manigance entre le canal météo et l’association des jardineries. Avec les nouveaux achats, le coût de revient de chaque tomate vient de passer de 2 $ à 4 $. Et si je compte la contravention qu’un gentil policier m’a remise pour ne pas avoir complètement arrêté à une intersection en plein bois, on ajoute encore 2 $.

Mais on finit par effacer tout ça de son cerveau. Les humains ont cette capacité exceptionnelle à flotter innocemment dans les limbes du déni. Le plaisir de récolter ses propres tomates est extraordinaire, vivre dans la nature, il n’y a rien de mieux, bla, bla, bla, et, en quelques heures, on jette la facture et un nouveau jardin surgit.

J’adore, pour vrai, les laitues fraîches, incomparables avec celles du comptoir de l’épicerie. Je vois poindre les premières pousses, ça m’émeut, une larme quitte mon œil, dévale ma joue et vient nourrir mes si fragiles « cadeaux » de la nature. Ma laitue sera salée d’avance par mes émotions maraîchères.

Chaque jour, je viens regarder l’évolution de mon jardin avec une rigueur monacale. J’ai une valse-hésitation à cueillir ma première laitue : j’attends LA bonne grosseur, histoire de jouir d’une belle grosse salade fraîche à la crème 35 %, aux radis et à la ciboulette. C’est ce genre de souvenirs qui vient anesthésier les mauvaises expériences au jardin. Demain, c’est décidé, je cueille. Je passe la nuit à rêvasser de ma divine salade, je la touille au ralenti avec style, la crème blanchâtre et la rougeur des radis lui donnent des airs de photo d’un livre de Josée di Stasio.

Au lever du soleil, je pars faire mon état des lieux quotidien, et bang, la vie bascule, la laitue a disparu, il n’en reste que quelques chétifs trognons. Une marmotte, probablement fort sympathique, est passée s’empiffrer de mon rêve. Elle est quelque part, confortablement assise sur son gros fessier à me regarder en rotant discrètement ma laitue, souriant de ses belles dents vertes.

Du même coup, je constate que mes tomates ne font pas beaucoup de fleurs, que j’aurai peut-être, au maximum, trois poivrons et que le ruban de graines de carottes n’a germé qu’à moitié... Une journée à mettre au compost !

Mais ce n’est pas tout, il y a aussi le climat : trop d’eau, pas assez, trop de soleil, pas assez, nuits trop fraîches, trop chaudes, grêle et vents violents. Je n’ai même pas parlé des insectes et des maladies, le fameux mildiou, qui frappe souvent et fait pourrir les tomates avant même qu’elles ne se retrouvent sur une photo sur Instagram.

Pour l’ail et l’oignon, il y a la teigne du poireau. Ce lépidoptère réussit à trouver, peu importe où il se trouve au Québec, mon petit carré pour venir s’y établir. Ça sent l’ail, on s’en va là !

Je ne sais pas exactement ce qui me pousse à me taper le même decrescendo maraîcher chaque année. Encore une fois ce printemps, j’enfilerai ma salopette et je récidiverai, mon dernier pot de tomates fraîches a eu raison de mes appréhensions.

Le phénomène Marthe Laverdière qui a poussé dans notre jardin culturel contribue énormément à démystifier ce passe-temps et ses pièges. Entre les jokes de graines, de touffes et de plantage, elle réussit parfaitement à communiquer le plaisir de mettre ses mains dans la terre. Or, prudence, elle est propriétaire d’une jardinerie. Il faudrait songer à vérifier son téléphone pour s’assurer qu’elle n’a pas de communications secrètes avec le canal météo. En attendant la commission d’enquête, tout le monde ensemble : « Cet été, je ferai un jardin / Si tu veux rester avec moi / Encore quelques mois / Il sera petit, c’est certain / J’en prendrai bien soin / J’en prendrai bien soin / Pour qu’il soit aussi beau que toi ».

Qui est Dany Turcotte ?

  • Originaire du Saguenay, Dany Turcotte se fait d’abord connaître comme humoriste, au sein du Groupe sanguin, au milieu des années 1980.
  • Après la dissolution du groupe, il poursuit sa carrière humoristique aux côtés de son complice Dominique Lévesque.
  • De 2004 à 2021, il est le « fou du roi » de Guy A. Lepage à Tout le monde en parle.
  • Il est l’animateur de La petite séduction de 2005 à 2017.
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