Toutes les deux semaines, l’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde.

La semaine dernière sur la 20. Une enfilade de voitures et de pick-up avec des drapeaux. Fuck ci, fuck ça, fuck untel. Il paraît qu’ils allaient à L’Assomption manifester. Il paraît aussi qu’il y a eu des élections (les plus plates de l’univers) en début de semaine. Et que tout le monde a gagné, si on se fie aux discours. Même les perdants. On nous répète depuis toujours de trouver de l’espoir dans tout.

Ce même samedi, au Madrid, un monsieur seul assis à une table du côté du McDo près du dépanneur. Un café et un MacPoulet devant lui. Avec une série de « gratteux » aussi. Il gratte avec un deux piasses. Il s’appelle Claude. Ancien camionneur, de Victoriaville, à la retraite. La poule aux œufs d’or, Mots cachés, Gagnant à vie.

« Avez-vous déjà gagné ? je lui demande.

— Oui pis non, au final ça m’en coûte toujours un peu. Mais j’ai passé proche plusieurs fois. »

Sa femme est morte d’un cancer il y a six ans, il a enchaîné.

« ’Est chanceuse, elle n’a pas connu la COVID, il a ajouté.

— Pensez-vous que vous allez gagner vos élections ? j’ai demandé.

— Oui, monsieur. J’ai déjà voté. Je l’aime, Legault. On pense pareil, même si lui, il ne peut pas le dire à cause des journalistes. »

Remarque intrigante. Claude avait un peu raison. On a vu poindre une nouvelle « autre » manière de faire de la politique cette année : celle d’arriver à faire passer le fond de sa pensée à une moitié du monde pour ensuite se corriger pieusement et rassurer l’autre moitié en plaidant coupable, avec des excuses et des mea culpa.

Mes paroles ont dépassé ma pensée, ils disent, sûrement conseillés par des firmes de relations publiques ou des consultants.

On est rendu là : on sait dorénavant que les politiciens ne peuvent pas vraiment dire ce qu’ils pensent. On plaît à certains en « s’échappant » et les autres offusqués s’attendrissent ou rapportent les actes de contrition dans les médias, l’air de ne pas vraiment y croire.

J’adore la France, surtout son vin et ses musées. Et j’ai une grande admiration pour le chialage des Français. Historiquement, ce sont eux qui ont annoncé et promu les révolutions. Il y a quelques années, les gilets jaunes ont incarné la base d’un ras-le-bol. Depuis quelque temps, ils font une sieste, mais très peu de bruit pourrait les réveiller. Chez nous, il y a le convoi des Fuck flags et les avancées des partis conservateurs (provincial et fédéral). Trump au sud. Bolsonaro qui tire de la patte, mais reste possible au Brésil, l’Italie un peu plus fasciste, et cette extrême droite qui émerge en Scandinavie, région pourtant encensée par la bien-pensance occidentale.

Dans le fond, une écrasante majorité de gens votent en souhaitant que le prochain gouvernement leur ressemble et non parce qu’un programme électoral leur plaît. Entre vous et moi, je peux promettre n’importe quoi en sachant que je ne serai jamais élu.

Plus les partis perdants se rapprocheront d’un possible pouvoir, plus les promesses seront près du point de félicité (bliss point) ; ce point de recherche sur l’équilibre gustatif parfait entre le sucré, le gras et le salé (comme dans un MacPoulet) et tout juste aux limites de la nausée et du vomi.

Le sentiment de satisfaction n’étant jamais très loin du point de rupture. Et pour que l’on continue, l’air satisfait.

J’ai passé le week-end dernier entouré de plusieurs enfants du primaire et du début du secondaire.

« Si vous votez pour moi comme premier ministre, je vous promets qu’il n’y aura que deux jours d’école par semaine, et on va vous apprendre à faire des mathématiques. Par exemple : 41 % de majorité d’un taux de participation de 68 %, ça fait combien ? Ça fait que 28 % des gens ont voté pour le prochain gouvernement. »

Je soupçonne qu’ils n’aient retenu que l’histoire des deux jours d’école, par contre.

Et ils ont dit oui en chœur lorsque j’ai répété ce qu’ils voulaient entendre. Voilà donc réglé le dossier de l’éducation. On va se dire les vraies affaires, hein ?

« Des Gummy Bear ou des bonbons surets et une pomme par jour à tout le monde ! »

Ils ont un peu grimacé, mais ils ont continué de m’appuyer vers l’Assemblée nationale. Problème du système de santé réglé : des sucreries pour le bonheur et une pomme pour les vitamines.

« Pour l’immigration, j’ai dit, je ramène ça à zéro. Pas un seul nouvel arrivant. Parce que si je me place dans la peau d’un immigrant, je ne me sentirai pas accueilli dans un pays où le ministre de l’Immigration croit que 80 % ne travaillent pas. Une idée comme ça : ces 80 % pourraient creuser le troisième lien, me semble. »

Les enfants n’ont rien compris, alors j’ai dit que je m’excusais, et que mes paroles avaient dépassé ma pensée. Et comme acte de bonne foi, j’allais aussi offrir à tout le monde des gratteux Gagnant à vie le jour des élections. Et ainsi réformer le mode de scrutin avec une sorte d’espoir éphémère.

« Pis vous, vos élections ? il a demandé.

— J’ai voté pour tout le monde, même les perdants, alors j’ai gagné, j’ai répondu. Et on se refera une autre pile de gratteux derrière une boîte de carton dans quatre ans. »