Cinéaste audacieuse et éclectique, figure de la modernité au cinéma dans les années 70, la réalisatrice belge Chantal Akerman est décédée lundi à Paris à l'âge de 65 ans, laissant près de 50 films dont Jeanne Dielman et La captive.

Atteinte de troubles maniaco-dépressifs depuis de nombreuses années, elle a mis fin à ses jours, selon son entourage.

> Réagissez sur le blogue de Marc-André Lussier

«C'était une énorme cinéaste qui, par sa singularité, a révolutionné quelques pans du cinéma international», a souligné son producteur Patrick Quinet.

«C'est quelqu'un d'extraordinaire dans son parcours, puisqu'elle a fait du documentaire, de la fiction, de la comédie musicale, des comédies ou des films plus austères», a-t-il ajouté.

Le directeur de la Cinémathèque française Serge Toubiana a salué «une femme de passion», qui a «exploré toutes les facettes du cinéma - pas seulement l'avant-garde - avec énergie, de façon intrépide, avec boulimie et candeur» et «avec un courage incroyable, un peu au point d'y laisser sa peau».

Née à Bruxelles le 6 juin 1950, issue d'une famille de juifs originaires de Pologne venue s'installer en Belgique dans les années 30, Chantal Akerman avait commencé sa carrière à la fin des années 60.

À l'âge de 17 ans, cette jolie brune aux yeux clairs et au regard pétillant réalise son premier court métrage, Saute ma ville, dans lequel une jeune femme fait exploser son appartement en se suicidant.

Marquée à ses débuts par le cinéma américain expérimental, elle se fait connaître ensuite dans les années 70 avec Je, tu, il, elle (1974), récit de l'errance d'une jeune femme dans lequel elle joue le rôle principal, puis surtout avec Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles (1975) avec Delphine Seyrig.

Le film, qui raconte le quotidien d'une Bruxelloise qui se prostitue, est une description de l'aliénation contemporaine, «une histoire de claustration spatiale et mentale», un «film sur l'espace et le temps et sur la façon d'organiser sa vie pour n'avoir aucun temps libre, pour ne pas se laisser submerger par l'angoisse et l'obsession de la mort», expliquait la cinéaste.

Très audacieux formellement avec notamment son travail sur le corps, Jeanne Dielman marquera nombre de cinéastes, dont les réalisateurs américains Gus Van Sant et Todd Haynes.

Chantal Akerman a «brisé notamment les codes traditionnels de la narration», a souligné la ministre française de la Culture Fleur Pellerin, rendant hommage à «une figure magistrale du cinéma et de l'art contemporain».

«Touche-à-tout»

Changeant complètement de registre, Chantal Akerman s'essaie ensuite dans les années 80 et 90 notamment à la comédie musicale avec Golden Eighties. Elle explore aussi un cinéma plus grand public avec la comédie Un divan à New York avec Juliette Binoche et William Hurt, dans lequel un psychanalyste new-yorkais échange son appartement avec une Française, avant que les quiproquos s'enchaînent.

Navigant régulièrement entre le documentaire et la fiction, la cinéaste belge réalise dans les années 2000 La captive (2000), librement inspiré de La prisonnière de Marcel Proust, avec Stanislas Merhar et Sylvie Testud ou encore Demain on déménage avec à nouveau Sylvie Testud et Aurore Clément.

Après La folie Almayer (2012), adaptation d'un roman de Joseph Conrad, son dernier film, le documentaire No Home Movie, consacré à sa mère qui avait survécu aux camps de concentration, avait été présenté cet été au Festival de Locarno, en Suisse.

Son histoire familiale intime, mais aussi la mémoire, l'exil, le repli sur soi, son identité juive et une certaine mélancolie des origines figuraient parmi les thèmes de prédilection de Chantal Akerman, qui parlait librement de ses troubles psychiques.

Également plasticienne, Chantal Akerman, dont l'une des dernières installations, Now, avait été présentée en mai à la Biennale de Venise, était «une touche-à-tout», un «foisonnement de culture et d'invention», selon son producteur.

Elle travaillait dernièrement à une adaptation de L'idiot de Dostoïevski pour le cinéma.