Le réalisateur polonais Andrzej Wajda a mis en garde vendredi contre une récupération politique de son film Katyn, présenté vendredi hors compétition à la 58e Berlinale et qui traite du massacre de 22 500 officiers polonais par les Soviétiques en 1940.

«C'est une élégie, un film sur le deuil, sur la souffrance individuelle», sur ces femmes qui attendaient le retour d'un mari, d'un père, d'un frère, «mais pas un film politique», a déclaré Wajda, 81 ans, récompensé d'un Ours d'honneur à Berlin en 2006 et d'un Oscar d'honneur en 2000 pour sa carrière.

«Je ne voudrais pas qu'il soit récupéré ou associé à une quelconque manipulation politique», a dit Wajda, auteur d'une trentaine de films.

Il a expliqué avoir pour cette raison fait repousser la première à Moscou, prévue à l'origine le 5 mars, pour éviter toute politisation au moment du 55e anniversaire de la mort de Staline.

Le réalisateur avait déjà protesté par lettre auprès du président polonais Lech Kaczynski, anticommuniste notoire, contre la tenue de cérémonies du souvenir du massacre de Katyn en pleine campagne pour les législatives du 21 octobre, disant craindre une «exploitation» politique.

«Je ne voulais pas faire un film contre la Russie. D'ailleurs, dans la forêt de Katyn, à côté des fosses des officiers polonais, il y a aussi des milliers de Russes, de Biélorusses, d'Ukrainiens, assassinés dès 1937, dont on parle peu», a ajouté Wajda.

Pour autant, la date choisie pour la sortie du film en Pologne, le 17 septembre 2007, jour anniversaire de l'entrée des troupes de l'Armée rouge dans l'est de la Pologne (1939), en vertu du pacte germano-soviétique, était très symbolique.

Katyn, en nomination pour l'Oscar du meilleur film étranger, a eu près de 3 millions de spectateurs en Pologne. «Ce succès est compréhensible. Les Polonais attendaient un tel film depuis longtemps», a dit Wajda.

Le film traite d'un sujet longtemps tabou, «le secret le mieux gardé de la censure», selon Wajda, un massacre nié par les Soviétiques et mis jusqu'à l'effondrement de l'URSS sur le dos du régime hitlérien. Il aura fallu attendre 1990 et le président Mikhaïl Gorbatchev pour que Moscou reconnaisse la responsabilité des Soviétiques.

Katyn conte avec sensibilité l'attente des femmes, leurs espoirs et leur incrédulité après la révélation de la tuerie en 1943 par les nazis, lorsqu'ils découvrirent les charniers.

«Il fallait faire un tel film. Il faut voir pour faire son deuil et arrêter la douleur. Certaines images resteront dans la conscience collective», a dit Wajda, qui raconte un peu ainsi l'histoire de sa famille, son père Jakub Wajda ayant été tué lors de ce massacre.

«Jusqu'à sa mort en 1950, ma mère n'a pas voulu croire qu'il avait été tué. Elle écrivait à la Croix-Rouge, en Suisse, à Londres...», a souligné le réalisateur, qui avait 14 ans quand son père a disparu.

Le film a été chaleureusement accueilli en projection de presse vendredi matin. La chancelière Angela Merkel devait le voir dans l'après-midi. «C'est un beau geste», a dit Andrzej Wajda. Il voulait que son film «soit montré à Berlin, là où était le Mur».

Le réalisateur de Kanal (1957), L'Homme de marbre, qui remettait en question l'époque stalinienne, et L'homme de fer (Palme d'Or à Cannes en 1981), a assuré que Katyn était le dernier film de sa série historique.

«J'en ai fait assez comme ça. Je veux clore ce chapitre», a dit le réalisateur, dont nombre de films sont hantés par ses souvenirs de la guerre.

Wajda veut maintenant «faire un film moderne, contemporain». «Il y a des évolutions dans la société polonaise, deux millions de Polonais ont quitté leur pays pour aller tenter leur chance ailleurs. C'est, dit-il, un aspect tout aussi intéressant» que la guerre.