Dans Copie conforme, Juliette Binoche incarne une femme dont les difficultés conjugales avec un mari anglais donnent lieu à un jeu mystérieux. Mais à Cannes, il n'y a pas toujours que le cinéma...

«Je sais que nous sommes ici pour parler de cinéma et de mon nouveau film, mais si vous le permettez, je dois d'abord dire quelques mots à propos de la situation qui prévaut chez nous.» Le cinéaste iranien Abbas Kiarostami était entré dans la salle des conférences de presse sans avoir encore eu l'occasion de répondre à l'appel urgent fait par la femme de Jafar Panahi, le juré «absent» du Festival de Cannes.

Du coup, la tension est montée d'un cran. Plutôt que de visionner des films à Cannes aux côtés de Tim Burton, Panahi croupit dans une prison à Téhéran depuis plus de deux mois. Ce réalisateur iranien de 49 ans, un des plus importants de son pays, a commencé une grève de la faim il y a trois jours (voir autre texte). À l'annonce de la nouvelle, livrée avec émotion par une compatriote du cinéaste présente dans la salle, le regard de Juliette Binoche s'est discrètement recouvert d'un voile de larmes.

«Qu'un cinéaste soit emprisonné pour avoir exercé son art est en soi une chose intolérable, a déclaré Kiarostami. S'ils gardent Jafar en prison, les autorités se doivent d'expliquer leur décision. Le gouvernement iranien a toujours eu du mal à tolérer les cinéastes indépendants. L'incarcération de Jafar indique qu'on a maintenant franchi une nouvelle limite en Iran.» Ceci expliquant peut-être cela, Copie conforme est le premier film qu'Abbas Kiarostami, lauréat de la Palme d'or en 1997 grâce au Goût de la cerise, tourne dans un pays étranger, en l'occurrence l'Italie. Kiarostami a aussi dirigé des acteurs professionnels pour la première fois, dans des langues (français, anglais, italien) qu'il ne maîtrise pas.

Juliette Binoche y incarne une Française sans nom, installée en Toscane depuis cinq ans, et mariée à un Anglais (William Shimell) depuis 15 ans.

Le récit repose sur une astuce à travers laquelle il sera toujours difficile de départager le vrai du faux. L'auteur anglais qui débarque dans un petit village toscan pour ensuite être pris en charge par une galeriste française est, ou n'est peut-être pas, le mari dont il est question. Le débat sur la vie conjugale et les relations homme-femme n'en est pas moins tangible.

Juliette Binoche y est bien entendu radieuse, et William Shimell, un acteur de théâtre qui fait ici ses débuts au cinéma, livre aussi une bonne performance. La vibration de la Toscane fait le reste et le charme opère. Mais on ne parle quand même pas ici d'un grand cru. «J'aime le mystère de ce personnage, précisait hier Juliette Binoche. Il évoque toutes les facettes d'une femme face à un homme!»

Xavier Beauvois en état de grâce

Inspiré du massacre tragique, en 1996, de sept moines français de Tibhirine en Algérie, Des hommes et des dieux est un grand film. Réalisé par Xavier Beauvois (Le petit criminel), ce drame est à inscrire au panthéon des oeuvres spirituelles contemporaines au même titre que le Thérèse d'Alain Cavalier ou, plus près de nous, La neuvaine de Bernard Émond.

Des hommes et des dieux évoque le déchirement intérieur d'hommes ayant consacré leur vie à leur foi chrétienne, alors qu'ils sont plus que jamais menacés dans leur intégrité physique. La région dans laquelle ces moines ont toujours vécu en parfaite harmonie avec la population locale - auprès de laquelle ils sont très engagés - est soudainement embrasée par des groupes terroristes sans foi ni loi. Que faire? Partir, comme le suggère les autorités? Ou rester avec la population et faire face à la mort?

Pour évoquer ce dilemme, le cinéaste, qui porte ici à l'écran un scénario d'Étienne Comar, propose une mise en scène très pure, un rythme à l'avenant, des images splendides, des chants spirituels d'une très grande simplicité (tout autant que d'une très grande beauté), et un Lac des cygnes dont l'écoute n'aura jamais été plus bouleversante. L'état de grâce n'arrive pas souvent pas dans la vie d'un cinéaste. Parfois même, jamais. Xavier Beauvois aura eu le privilège d'en être atteint au moins une fois. Et nous, de nous y recueillir.