Le jour où Emmanuel Bilodeau a remporté le Léopard d'or du meilleur acteur au dernier Festival du film de Locarno, son fils est né. «C'est un hasard assez bizarre», dit-il à propos de ces événements heureux et synchrones.

Le comédien de 46 ans tient le rôle principal du plus récent film de Denis Côté, Curling, à l'affiche vendredi prochain, dans lequel il interprète un père à la dérive qui tente maladivement de protéger sa fille (Philomène Bilodeau, sa propre fille) contre les aléas du quotidien. Un beau film d'épure, sans affect, sobre et minimaliste, où l'on trouve Bilodeau au sommet de son art.

«C'est très flatteur de voir son travail être reconnu par un jury international. C'est pour moi un jalon important, comme le prix Gémeaux que j'ai remporté pour René Lévesque. Un prix international reçu pour un rôle sans audition, en plus.»

Pour Emmanuel Bilodeau, ce n'est pas un détail. Il n'aime pas les auditions et préfère de loin sentir qu'il est désiré par un réalisateur. «Il m'est arrivé de faire des auditions pour de petits rôles dans de grosses productions, dit-il. On s'attend à ce qu'on soit en feu, qu'on soit affamé, alors qu'on ne connaît pas vraiment le projet, qu'on n'en a pas discuté avant avec le cinéaste. Je trouve ça absurde. C'est peut-être pour ça que je suis pourri en audition.»

«Peur d'avoir l'air ridicule»

L'acteur dit avoir été convoqué en audition une vingtaine de fois pour des rôles plus ou moins importants, sans succès. Il n'a obtenu le rôle désiré qu'une seule fois, pour la télésérie René. Un rôle en or qu'il a milité pour décrocher. À l'été 1987, alors jeune stagiaire à La Presse, Emmanuel Bilodeau a été l'un des derniers journalistes à interviewer la figure emblématique du mouvement souverainiste...

«Le rapport au rôle n'est pas toujours le même, dit-il. Je suis orgueilleux. J'ai peur d'avoir l'air ridicule si j'en fais trop. Quand on est un des 8 ou 12 acteurs à passer une audition, on a l'impression de combler un budget de casting. C'est un peu: «Tiens 25 cents, fais-moi unboutted'Hamlet! Fais-moi une joke. Montre-moi que c'est bon.» Ça me rend mal à l'aise. Il y a un rapport de pouvoir qui influe sur la relation pour l'avenir.»

C'est peut-être pour ça que cet ancien avocat, diplômé de l'École nationale de théâtre, s'est surtout consacré au cinéma indépendant (en plus du théâtre et de la télévision) depuis quelques années: Sur la trace d'Igor Rizzi, Le Nèg', Bluff, Y en aura pas d'facile.

«Je suis très ouvert à de petits projets, dit-il. Il y a moins d'argent, les cachets sont moins importants, mais il y a moins de stress et beaucoup moins d'ingérence de la part des distributeurs et de l'industrie. J'aime servir à quelque chose, être réellement utile à une production. Je ne suis pas dans le star-système. Je n'ai pas une gueule de box-office. Si j'avais un corps d'Adonis et un talent fou, je ne cracherais pas sur un film de Spielberg à 100 millions!»

L'impression d'être désiré par un cinéaste a poussé Bilodeau à accepter le rôle de Jean-François Sauvageau dans Curling, tourné pour environ 1 million de dollars. Il incarne un homme taciturne qui travaille dans une salle de bowling de campagne et fait des ménages dans un motel pendant que sa fille de 12 ans, Julyvonne, coupée du monde, l'attend à la maison.

Denis Côté a communiqué avec le comédien il y a plus de deux ans, par l'entremise de Facebook, afin qu'il participe au film. «J'ai été très touché par cette marque de confiance, dit-il. On ne se connaissait pas. Je ne connaissais pas encore ses films, mais je me suis senti désiré. J'ai senti une sincérité, une volonté de créer ensemble un personnage. Denis a confiance en ses capacités d'adaptation. Il ne cherche pas un produit lisse, il ne cherche pas à nous formater.»

Tel père, telle fille?

Au moment où Côté a présenté son projet aux institutions subventionnaires, Bilodeau a proposé que sa fille Philomène participe à la session de photo du dossier, dans une salle de bowling de son quartier. «C'était seulement pour dépanner, dit-il. De toute façon, elle était trop vieille pour le rôle.» En la rencontrant, l'idée qu'elle pourrait incarner cette fille surprotégée (qui avait 8 ans dans le scénario d'origine) a germé dans l'esprit du cinéaste.

«J'étais moins enthousiaste à l'idée qu'elle au départ, mais j'avais confiance en ses capacités, dit Emmanuel Bilodeau, qui est père de trois enfants. On a souvent joué ensemble, pour rire, à la maison, en tournant des vidéos.»

L'horaire de Curling a été adapté afin que Philomène n'ait pas à rater trop de journées de classes. «Ils ont été très diligents. Je savais que je pourrais la protéger, m'assurer que ça se passe bien, de façon très naturelle. Je n'ai pas eu à faire écran entre Denis et elle.»

Emmanuel Bilodeau n'a jamais poussé sa fille à faire le métier d'actrice, bien au contraire. «Je ne veux pas qu'elle se retrouve dans un monde d'adultes, qu'elle devienne une enfant-actrice, que le métier ait un impact sur ses études.» Il admet volontiers être un peu père poule. «J'ai toujours peur qu'il lui arrive quelque chose. Mon père, qui a eu 12 enfants (Emmanuel est le cadet), était comme ça aussi.»

«Il a un côté protecteur, mais beaucoup moins pire que celui de son personnage dans le film, qui est vraiment un cas extrême», dit Philomène Bilodeau, 14 ans. Cette enfant de la balle a suivi de près les carrières de son père et de sa mère, la comédienne Monique Spaziani (Bonheur d'occasion, Les portes tournantes, Aurore), de qui Emmanuel Bilodeau est séparé depuis longtemps.

«Évidemment que de voir mes parents jouer au théâtre depuis toujours m'a donné envie de jouer moi aussi, dit-elle. Mais le désir s'est manifesté récemment. Avant, je voulais être vétérinaire. Le tournage a été une expérience formidable, sans stress ni tensions.»

Une comédie

Alors qu'il varie les projets sans plan de carrière établi, Emmanuel Bilodeau partagera prochainement avec Gildor Roy l'affiche d'une comédie, Le colis, de Gaëlle Dynglemare. «Je suis un artisan. Je trouve mon compte comme acteur dans la comédie et le drame, à la télévision, au théâtre comme au cinéma», dit ce militant, qui épouse de nombreuses causes environnementales et sociales.

«Peut-être que j'en fais trop. Lorsqu'on est trop exposé, qu'on soutient des causes et qu'on affiche ses convictions politiques, ce n'est pas bon pour une carrière. Ce n'est pas grave. Je ne m'intéresse pas à la gestion d'image. Je préfère rester spontané dans mes choix.»

Curling sortira en salle vendredi prochain.