Les cinéphiles l’attendaient au tournant et il en était bien conscient. Les trois films écrits par son complice Guillermo Arriaga, Amores Perros, 21 Grams, et Babel (dont il a signé la réalisation), ont marqué le cinéma de la première décennie du XXIe siècle au point même de le définir. Du moins en partie.

Alejandro Gonzalez Iñarritu savait bien qu’après une dizaine d’années d’osmose créatrice avec son scénariste, l’aventure en solo serait d’une nature plus particulière. Que les aficionados, toutefois, se rassurent. Même si Biutiful s’inscrit différemment dans sa démarche artistique, le cinéaste mexicain aborde de front ses préoccupations habituelles.

«Je ne sais pas d’où viennent mes idées, a déclaré Gonzalez Iñarritu au cours d’une interview accordée à La Presse au Festival de Toronto. Ce sont probablement des choses enfouies dans mon subconscient. Mais le fait est que les questions liées au sort du monde, à l’héritage que nous laissons à nos enfants, bref, toutes les questions liées à l’humanité en général me préoccupent. J’ai atteint un âge – 47 ans – où ces interrogations empruntent une forme très concrète. C’est pourquoi j’estime qu’un film comme Biutiful s’inscrit de façon logique, à une étape de ma vie où je ne suis pas encore assez vieux pour ne plus déroger à mes idées reçues, mais quand même assez mûr pour aborder ces thèmes-là.»

Avec l’idée d’offrir le rôle à Javier Bardem, Alejando Gonzalez Iñarritu a écrit seul son scénario. Presque de manière compulsive. Avec un personnage comme fil conducteur plutôt qu’une histoire.

«Tout s’est mis en place de façon très organique, explique-t-il. Cela relevait presque de l’écriture automatique. Comme quelque chose qui devait jaillir. Je pense aussi beaucoup aux textures musicales en écrivant. Amores Perros était très rock. 21 Grams, plus jazz. Babel relevait de l’opéra. Quant à Biutiful, j’y entends plus qu’un adagio. Un requiem en fait. Cela dit, un scénario, ce n’est pas de la littérature, ni un film. Le film, il prend forme au moment où on le fabrique. À l’étape où on porte à l’écran un scénario, il y a matière à interprétation. Le cinéaste est responsable de tout. Il doit assumer toutes les décisions, les bonnes comme les moins bonnes!»

Au Festival de Cannes l’an dernier, l’auteur cinéaste avait révélé avoir été surpris par la nature exigeante d’un tournage «difficile et intense».

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«J’ai été tellement fatigué d’avoir fait le tour du monde pour tourner Babel que je m’étais promis que mon prochain projet serait moins complexe, avec un seul lieu et un seul personnage central, avait-il alors déclaré. Pour Biutiful, j’ai donc voulu présenter quelque chose de plus linéaire, de plus discipliné en explorant d’autres méthodes narratives. Et je voulais tourner en espagnol. Mais ce film a finalement été aussi difficile à réaliser que mes autres films!»

Film déprimant?
Quand une question fut posée à propos de l’aspect déprimant du récit, Iñarritu a répliqué que cette perception était due au fait que les humains, malgré les apparences, ne savent plus communiquer. Ni vivre l’intimité.

«Même si l’obscurité paraît omniprésente, Biutiful comporte beaucoup de touches d’espoir, a-t-il dit. C’est même mon film le plus optimiste. Le personnage d’Uxbal est plein de lumière. Il se donne pour organiser sa vie, aider ses enfants, et aimer les autres. Ce film est également une expérience sur l’intimité. A l’heure de l’internet et des réseaux sociaux, l’intimité est un peu le nouveau mouvement punk de notre époque!»

Aujourd’hui, Alejandro Gonzalez Iñarritu affirme vouloir élaborer une comédie.

«Il n’y a rien de précis encore mais j’ai assurément envie d’un film plus léger, précise-t-il. Cela dit, je croyais que Biutiful serait aussi plus simple à tourner et ce ne fut pas le cas. Une chose est certaine, peu importe le ton du film, j’ai besoin de traiter de sujets qui parlent de notre monde maintenant.»