Contre vents et marées, le Festival des films du monde (FFM) a pris son envol, hier soir, pour une 38e édition marquée par l'espoir et même de nouvelles idées pour le relancer vers des horizons idéaux.

Le cinéaste Claude Fournier a en effet confié qu'un groupe de sages réfléchissait à des solutions pour aider le festival à demeurer en vie. Il suggère notamment que l'événement prenne un virage vers le cinéma de la francophonie.

«Il y a quelques années, lorsque le FFM avait perdu une partie de son financement, nous avions formé un groupe pour tenter de le sauver et cette année encore, nous sommes quelques-uns, dont ma conjointe Marie-Josée Raymond, moi et quelques autres [et il ne donnera pas de noms], à travailler en coulisses pour sa relance, dit-il. On dit que Serge Losique a une tête de cochon. C'est peut-être vrai, mais c'est peut-être pour ça que le festival a survécu. Mais là, il est rendu à un point de non-retour.»

M. Fournier croit qu'une piste de solution se trouve dans une programmation plus ciblée. Et dans un tel cas, un festival tourné vers la francophonie serait une piste très intéressante, croit-il.

«Le festival de Toronto [TIFF] est de plus en plus centré sur les grandes primeurs américaines. Ce serait le fun si un festival comme le FFM prenait sur ses épaules le cinéma francophone. C'est quand même un des grands cinémas du monde et ça aiderait le cinéma québécois en même temps.»

La suggestion ne plaît pas du tout à Michel Nadeau, un des membres du conseil d'administration qui, récemment, a enjoint à M. Losique de prendre une hypothèque sur le Cinéma Impérial pour éponger la dette à long terme du FFM. «Ce serait une erreur magistrale, lance ce dernier. Le monde est global et virtuel. On doit s'ouvrir à celui-ci. Miser sur la francophonie serait passer à côté de la réalité.»

Rappelons que depuis le début du mois de juin, la présentation du festival était remise en question à la suite du retrait du financement de plusieurs institutions publiques. Ce manque à gagner représenterait plus de 1 million, si on se fie aux subventions attribuées par les mêmes organismes en 2013, sur un budget de fonctionnement de trois millions.

Pour faire face à cette crise, le conseil d'administration du festival a réussi à obtenir une hypothèque de deux millions en mettant le Cinéma Impérial en garantie. Mais ce conseil devra aussi trouver une nouvelle structure de financement à long terme et tenter de retrouver sa crédibilité auprès des bailleurs de fonds publics.

Effervescence

Cela dit, la 38e édition s'est ouverte hier avec une effervescence qu'on n'avait pas eue au FFM depuis quelques années. Le fait de faire l'ouverture à l'Impérial au lieu de la Place des Arts y a contribué. On a même eu droit à un petit cortège de voitures d'où sont sortis les invités, rue de Bleury.

Lorsque Serge Losique, le président du jury Sergio Castellitto et le cinéaste Claude Lelouch, dont le film Salaud, on t'aime était présenté en ouverture, se sont présentés à la foule, ils ont été chaleureusement applaudis.

Parmi les invités, on a remarqué la présence de l'ancien premier ministre du Québec Bernard Landry et son épouse Chantal Renaud, du producteur Rock Demers, de l'auteur, éditeur et cinéaste Jacques Godbout, du chanteur Claude Dubois et du cinéaste André Forcier.

Par ailleurs, La Presse n'a croisé aucun représentant connu des trois paliers de gouvernement.

«Je souhaite que le FFM soit maintenu, a dit Bernard Landry à La Presse. S'il disparaît, ce serait un dur coup pour Montréal et le Québec. Ce serait triste de le perdre.»

«Ce soir, c'est une grande fête, a de son côté indiqué Michel Nadeau. Nous nous sommes battus pour que les Montréalais vivent un moment de joie et nous l'avons. Alors, oublions les difficultés des derniers mois et célébrons.»

Une fois à l'intérieur de l'Impérial, Serge Losique avait une petite surprise pour Claude Lelouch qui venait présenter son 11e film au FFM: un Grand Prix des Amériques, la récompense ultime du festival. «C'est un prix que vous méritez depuis longtemps», a dit M. Losique.

Se faire pardonner

Comme de coutume, la toute première projection du festival (avant la soirée d'ouverture) a eu lieu à l'Impérial, hier, à 10h du matin. Le film d'ouverture, Salaud, on t'aime, a été projeté devant une salle assez bien garnie mais pas remplie à sa pleine capacité.

De plus, la moyenne d'âge des spectateurs présents hier matin était assez élevée, ce qui venait nous rappeler que la direction du FFM devra trouver la bonne formule pour renouveler son public.

Cela dit, le film de Lelouch, son 44e, est plutôt sympathique et pimenté de savoureuses répliques. Chronique familiale campée dans la magnifique région de Rhône-Alpes, le film raconte l'histoire de Jacques (Johnny Hallyday), photographe célèbre qui a eu quatre filles de quatre mères différentes mais qui peine à communiquer avec elles. Afin de susciter une réunion familiale extraordinaire, Frédéric (Eddy Mitchell) fait croire aux filles de Jacques que ce dernier est gravement malade.

Le film donne notamment lieu à une scène magnifique où les deux géants de la chanson française fredonnent à l'unisson sur un divan. Dans le rôle de Nathalie, nouvelle compagne de Jacques, Sandrine Bonnaire offre aussi une prestation très juste.

Hier, en conférence de presse, Claude Lelouch a fait un rapprochement entre le scénario du film et sa propre histoire, puisqu'il est le père de sept enfants issus de cinq unions.

«Mes enfants et mes femmes ont beaucoup souffert de la passion que j'ai eue pour le cinéma, a-t-il dit. Parfois, j'ai eu le sentiment d'avoir trompé ma famille avec mon travail de cinéaste. J'ai fait ce film un peu pour demander pardon à mes enfants.»

Dans un registre plus large, Lelouch a dit avoir fait toutes ses oeuvres dans le même esprit. «En général, je pars toujours de mes observations. J'ai fait 44 films et les 44 fois, j'ai essayé de me comporter comme un chroniqueur de la vie.»

La compétition officielle de cette 38e édition s'amorce ce matin. Le festival se poursuit jusqu'au 1er septembre.

La Presse a vu: New Territories

Sélectionné au FFM dans la compétition mondiale des premières oeuvres, ce film français tourné en Chine a d'abord été lancé en mai, à Cannes, dans le cadre d'une section parallèle indépendante du festival proposée par l'Association du cinéma indépendant pour sa diffusion. La réalisatrice Fabianny Deschamps orchestre la rencontre onirique entre deux femmes. L'une, chinoise, assure la narration sans jamais être vue; l'autre, française, est vue à l'écran, mais jamais entendue. La première désire fuir le carcan chinois et passer clandestinement à Hong Kong. L'autre arrive à Hong Kong afin de promouvoir «l'aquamation», un nouveau procédé de crémation, plus écologique mais très controversé. Le récit, hypnotique, fait écho à une dimension parallèle, riche d'atmosphères, magnifiée par des images très évocatrices. Ce premier essai est concluant.

Aujourd'hui, 19h; 23 août ,14h10; 24 août, 14h20 au Quartier latin.

- Marc-André Lussier

photo fournie par la production