Le mot «joie» s'est échappé plusieurs fois de la bouche du cinéaste Denis Villeneuve, appelé à commenter, mercredi matin, sa sélection dans le jury du prochain Festival de Cannes.

C'est que l'arrivée de cette «pause cinéphile» arrive à point dans la vie du réalisateur québécois, qui admet qu'après la longue aventure de «Blade Runner 2049», il avait besoin de se nourrir de cinéma.

«J'ai été un cinéphile absent pendant toutes ces années, et là, quand j'ai fini Blade Runner, j'ai senti un besoin important de ralentir, de revenir à l'écriture et aussi de me nourrir», a-t-il confié en entrevue téléphonique avec La Presse canadienne.

Il n'a donc pas hésité une seconde à accepter l'invitation du délégué général de Cannes, Thierry Frémaux, de se joindre au jury.

Le jury composé de neuf personnes sera présidé par l'actrice et productrice Cate Blanchett, de l'Australie.

Il sera complété par les actrices américaine Kristen Stewart et française Léa Seydoux, le réalisateur français Robert Guédiguian, l'acteur chinois Chang Chen, la scénariste américaine Ava DuVernay, l'auteure-compositrice-interprète burundaise Khadja Nin et le réalisateur russe Andreï Zviaguintsev.

«Ce printemps, j'ai du temps. Je suis en écriture (pour le film Dune), c'est possible pour moi de prendre 10 jours, d'arrêter complètement mon travail et de me retrouver dans la position que j'adore du cinéphile et de voir parmi les meilleurs films du cru de 2018. Je vais avoir le privilège de découvrir une vingtaine de films avec des collègues, c'est vraiment une joie», a-t-il souligné.

«Je parle beaucoup de joie, c'est parce que c'est vraiment l'émotion principale qui m'anime en parlant de ça. C'est comme quelqu'un qui parle de ses vacances qui s'en viennent, c'est vraiment comme ça que je le vois.»

Femmes et festival

La prochaine édition du Festival de Cannes sera la première depuis le scandale d'inconduite sexuelle ayant frappé le producteur Harvey Weinstein et l'avènement du mouvement #moiaussi. Denis Villeneuve estime d'ailleurs que ce n'est sans doute «pas un hasard» si le jury de cette année est majoritairement féminin, avec cinq femmes et quatre hommes.

Il se montre toutefois plutôt d'accord avec Thierry Frémaux, qui a dû défendre en conférence de presse, la semaine dernière, le refus du Festival de Cannes de s'imposer des quotas, afin de s'assurer que la sélection officielle soit paritaire.

Le cinéaste croit profondément qu'il y aura un jour à Cannes autant de réalisatrices que de réalisateurs, mais il estime que le festival français est un reflet de la société et que ce n'est pas son rôle de réinventer celle-ci.

«Il faut que la société change. Il faut que le monde du cinéma donne plus de place aux femmes. Il faut qu'il y ait une ouverture. Maintenant, je pense que dans un festival comme ça, ce n'est pas un service à rendre à personne qu'il y ait des quotas.

«Je pense que la place des femmes dans le cinéma va aller en s'accroissant, et c'est important qu'un jour on arrive à une égalité. Mais c'est un processus qui va prendre du temps, ça ne va pas prendre trois mois. C'est des mouvements de fond et ça va prendre un certain temps, mais je suis persuadé que ça va arriver.»

Netflix et désengagement

Appelé à commenter la décision des organisateurs du festival d'exclure les films de Netflix de la sélection officielle, Denis Villeneuve souligne qu'il s'agit d'un sujet compliqué qui nécessite certaines nuances.

Le festival a annoncé cette année que tout film désirant concourir pour la Palme d'or doit obligatoirement être présenté dans les salles de cinéma françaises. Cette décision exclut du coup les oeuvres des plateformes de visionnement en ligne qui n'offrent leurs oeuvres que sur internet.

Assurant qu'il n'est pas du tout contre Netflix, Denis Villeneuve estime malgré tout que les plateformes en ligne doivent respecter la culture des pays où ils souhaitent présenter leurs films.

«En France, le cinéma sur grand écran, c'est sacré, c'est important. Netflix devrait respecter la France, à cet égard-là. Donc je pense que le festival de Cannes, de sa position, étant un festival français, en respectant cette volonté-là du pays de conserver les films sur grand écran, oui, je pense qu'ils ont raison de le faire. Netflix devrait s'adapter à la France, pas le contraire», croit-il.

«Les écrans sont en train de perdre la guerre et il reste les festivals de films, qui sont les derniers grands bastions, défenseurs d'une certaine vision du cinéma, (du fait) que le cinéma doit être vu sur grand écran.»

Le cinéaste s'attriste encore davantage de ce qu'il qualifie de «désengagement» des studios, qui ne se battent pas davantage pour que les films soient présentés en salle.

Il regrette par exemple que personne du côté des studios n'ait insisté pour que le prochain film d'Alfonso Cuaron, Roma, acheté par Netflix, puisse être vu sur grand écran.

«Il y a quelque chose qui se passe. Il y a des films comme le dernier film d'Alex Garland, Annihilation, qui ne sera pas vu sur les grands écrans du monde entier parce que Paramount a décidé de ne pas le mettre... Il y a un désengagement des studios face à certaines formes de cinéma, et ça, moi, ça me fait peur.»

La 71e édition du Festival de Cannes s'ouvrira le 8 mai prochain.