Dans son nouveau film The Beguiled (Les proies), l'un des plus attendus de la compétition, la cinéaste Sofia Coppola se prend un peu pour Quentin Tarantino, façon Django Unchained, version féministe. Et cela lui va plutôt bien.

Campée en Virginie pendant la guerre de Sécession, mais tournée en Louisiane, cette relecture d'une oeuvre de 1971 de Don Siegel mettant en vedette Clint Eastwood est élégante, amusante et souvent comique. C'est l'histoire d'un Yankee blessé (Colin Farrell), sauvé par une jeune fille qui le trouve dans les bois et le ramène dans son pensionnat. La directrice de l'école (Nicole Kidman) décide de panser ses plaies avant de le livrer à l'armée sudiste.

L'instinct de survie du caporal lui dicte de séduire tout ce qui bouge dans cette maison de plantation. Il fait simultanément la cour à la directrice, à sa seule enseignante (Kirsten Dunst) et à l'aînée de leurs cinq élèves (Elle Fanning). Cette maison, où peu d'hommes ont mis les pieds, est soudainement chargée de jalousie et de tension érotique. Mais gare au soldat! Car qui trop embrasse mal étreint...

«Dans le film original, l'histoire était racontée du point de vue du soldat. J'ai voulu la raconter du point de vue des femmes, a expliqué hier la cinéaste en conférence de presse. Je me suis imaginé ce qu'elles pensaient de leur côté. Je n'ai pas voulu faire un remake. C'était ma propre vision, ma manière de raconter l'histoire. Les deux films vont d'ailleurs être projetés ensemble au cinéma de Quentin Tarantino, à L.A. J'ai hâte de les revoir. Ce sont deux versions de la même histoire.»

Le sixième long métrage de Sofia Coppola, davantage dans la veine de The Virgin Suicides que ses films subséquents, est une timide incursion dans le cinéma de genre. The Beguiled est un thriller gothique inspiré, ironique dans ses dialogues et onirique dans la poésie de ses images brumeuses. C'est aussi l'occasion d'un retour en forme après l'égarement de The Bling Ring, présenté en ouverture d'Un certain regard en 2013.

«J'ai tenté d'embrasser le gore à ma manière. C'était déjà beaucoup pour moi!», dit la cinéaste, toujours aussi peu loquace lorsqu'il est question de son art. On mettra ça, une fois de plus, sur le compte de l'extrême timidité. «Je suis attirée par des sujets sans trop savoir pourquoi sur le coup, dit-elle. J'étais intéressée par le thème de la rébellion.»

Farrell, homme-objet

Pour semer la zizanie dans ce pensionnat, la cinéaste a jeté son dévolu sur l'acteur irlandais Colin Farrell, qui retrouve Nicole Kidman dans un deuxième film en compétition cette semaine, après celui de Yórgos Lánthimos.

«Je voulais quelqu'un d'à la fois masculin, sombre et exotique pour incarner le soldat ennemi, dit Sofia Coppola. Colin est charmant et charismatique. J'avais besoin d'un homme-objet qu'il s'offre en contraste à ces femmes de différentes générations.»

«[Colin Farrell] a été bon joueur. Il est capable d'aller chercher des émotions plus sombres. Je ne voulais pas que ce soit un mélodrame.»

Considérez-vous que c'est une oeuvre féministe? a demandé une journaliste. «Je crois que c'est au public d'en décider. C'est certainement un point de vue féminin sur une lutte de pouvoir entre les hommes et les femmes.»

Colin Farrell dit ne pas avoir eu de difficulté à jouer l'homme-objet, entouré de femmes de caractère. «Mais imaginez le débat s'il était question de femme-objet! J'ai grandi avec trois femmes brillantes et fortes, ma mère et mes deux soeurs.»

L'acteur irlandais n'avait tourné auparavant qu'avec une seule autre femme cinéaste - et non la moindre: la grande Liv Ullmann. «J'ai été profondément marqué par le film de Siegel, que j'ai vu il y a quelques années, dit-il. J'ai déjà fait deux remakes, et je m'étais dit que je n'en ferais plus, mais Sofia a fait quelque chose de très original. J'ai beaucoup apprécié cette nouvelle perspective féminine sur ce récit. Sofia est quelqu'un de très élégant et intelligent.»

Son remake est, dans les faits, assez fidèle à l'oeuvre originale. On sent tout de même qu'elle aborde le récit avec force ironie, insufflant dans les sous-entendus de ces tentatives de séduction beaucoup d'humour. «J'espère que vous aimez la tarte aux pommes», dit le personnage d'Elle Fanning au caporal, le regard lascif, révélant clairement ses intentions.

Comme une famille

Sofia Coppola aime s'entourer d'une famille d'acteurs. Elle Fanning, 18 ans, n'en avait que 11 lorsqu'elle a joué dans Somewhere. Kirsten Dunst accompagne la cinéaste depuis The Virgin Suicides, il y a 18 ans justement. «J'aurais récité le bottin téléphonique avec elle», dit l'actrice de Marie-Antoinette.

«Moi aussi, j'aurais récité le bottin avec elle!», ajoute Nicole Kidman, qui a profité de la conférence de presse pour rappeler qu'il n'y a toujours pas assez de femmes réalisatrices en 2017. «Seulement 4 % des réalisateurs de films en 2016 à Hollywood étaient des femmes, rappelle-t-elle. Des femmes ont réalisé seulement 183 des 4000 épisodes de séries télévisées aux États-Unis. C'est important de le dire. Jane Campion et Sofia sont ici, heureusement. Nous devons, en tant que femmes, soutenir les femmes réalisatrices. Cela est entendu. Tout le monde dit que c'est bien différent maintenant, mais ce n'est pas vrai.»

La tête d'affiche de la deuxième saison de la télésérie Top of the Lake de Jane Campion, seule lauréate d'une Palme d'or, est ravie d'être à Cannes, pour soutenir des cinéastes indépendants. «Leurs films n'ont pas les budgets de production ni de publicité des grands studios. C'est pour ça que nous sommes ici pour vous en parler. Nous sommes chanceux d'avoir des festivals comme Cannes pour des films qui ne seraient pas aussi bien mis en lumière autrement.»

Sofia Coppola a rappelé pourquoi elle préfère réaliser des films indépendants. «J'aime pouvoir faire ce que je veux. Les films à gros budget ont beaucoup de chefs dans la cuisine. Ce que j'aime, c'est être avec les acteurs.»

La cinéaste de 46 ans a à son tour été invitée à ajouter son grain de sel à la controverse de la quinzaine: la présence de Netflix en compétition. «Je suis très heureuse d'avoir pu tourner mon film sur pellicule 35 mm, dit-elle. J'espère que les gens iront le voir au cinéma. Il a été conçu pour un grand écran, pas pour un téléphone. Dans le monde moderne, l'expérience d'aller au cinéma pour échapper à la réalité reste unique.»

Photo Loic Venance, Agence France-Presse

La distribution du film The Beguiled quelques minutes avant la première du film à Cannes