Le Chinois Jia Zhang-Ke est entré en compétition, mercredi à Cannes, avec un film déroutant où il conjugue son pays au passé, au présent et au futur.

Avec Mountains May Depart, Jia Zhang-Ke a choisi un sujet (a priori) moins périlleux que son oeuvre précédente, Touch of Sin, critique acerbe de la société chinoise.

Prix du scénario à Cannes en 2013, Touch of Sin, bloqué par la censure, n'est toujours pas sorti en Chine.

Mountains May Depart, qui suit le parcours sentimental d'une femme sur 25 années de sa vie, est composé de trois parties. Chacune d'elles montre ce que veut dire être chinois à trois périodes différentes.

Le film a été plutôt bien accueilli par la presse. «Mystérieux et, à sa manière, extrêmement ambitieux», pour le britannique The Guardian, c'est un «instantané polymorphe du capitalisme du 21e siècle» pour Variety, la bible de l'industrie du cinéma.

Tout commence en 1999, à Fenyang, ville natale du cinéaste, au nord-est du pays. C'est la nuit du passage à l'an 2000. La jeune Tao (magnifique Zhao Tao) danse avec des amis sur le succès Go West des Pet Shop Boys.

Elle est courtisée par ses deux amis d'enfance, Jinsheng qui est propriétaire d'une mine de charbon et Liangzi, un de ses employés. Le premier est aussi arrogant et ambitieux que le second est effacé et modeste.

Elle fait le choix (un peu surprenant) du premier tandis que Liangzi, l'amoureux éconduit, décide de partir. Tao et Jinsheng se marient, ont un fils qu'ils baptisent Dollar.

Des choix déterminants

Deuxième partie. Nous sommes en 2014. Tao s'est séparé de Jinsheng, qui est parti pour Shanghai où il vit confortablement avec sa nouvelle compagne et Dollar dont il a la garde. Sans doute parce qu'il est plus facile d'y faire sa vie qu'a Fenyang.

«Tao est confrontée à deux choix importants dans sa vie: entre deux hommes d'abord, et elle choisit celui qui n'est pas ouvrier, puis lorsqu'elle divorce et qu'elle décide de confier son enfant à son mari», a expliqué à l'AFP Jia Zhang-Ke, 45 ans.

«Dès lors qu'elle a fait ces choix, on voit combien ils sont déterminants et vont influencer toute sa vie», ajoute-t-il.

Arrive le 3e et dernier acte. Nous sommes en 2025. Dollar et son père ont émigré en Australie, comme beaucoup de Chinois qui vont y chercher une vie meilleure. Tout le monde parle anglais, exceptés quelques irréductibles de la diaspora qui rejettent cette langue de la mondialisation.

Dollar a grandi et n'a plus revu sa mère depuis l'âge de sept ans. Il ne peut plus communiquer avec son père et doit faire appel à une de ses professeurs (Chinoise émigrée elle aussi) pour lui servir d'interprète. «Je ne suis pas ton fils, ton fils s'appelle «Google traduction»», dit-il à celui qui est désormais pour lui un étranger.

«La perte d'identité est au coeur du film. J'ai des amis autour de moi qui ont émigré et qui ne peuvent plus dialoguer avec leurs propres enfants», assure Jia Zhang-Ke.

«C'est un paradoxe à la chinoise, les gens émigrent dans l'espoir de trouver une vie meilleure mais le pari s'avère souvent perdant», ajoute le cinéaste.

Jia Zhang-Ke a rangé sa colère de Touch of Sin et c'est avec délicatesse, et aussi une touche de science-fiction, qu'il nous propose son voyage dans le temps.

Il nous dit combien l'amitié, l'identité, sont des choses fragiles, qu'il convient de préserver. «Si on abandonne cela, tout peut se défaire, même les montagnes peuvent s'en aller».