«Je vois déjà le titre: Tous les acteurs sont des escrocs», a ironisé Meryl Streep qui venait tout juste de déclarer que le métier d'acteur en était un d'escroquerie où l'acteur se ment à lui-même pour mieux convaincre les autres.

Dans le vieux théâtre berlinois où a résonné sa blague sur les titres lapidaires des médias, les gens ont éclaté de rire. Plusieurs avaient compris que l'actrice faisait référence à sa déclaration controversée au premier jour de la Berlinale.

«Nous sommes tous africains, nous sommes tous berlinois», avait-elle en effet lancé à la manière d'un mauvais JFK en voulant répondre à une question sur la diversité. L'internet s'est immédiatement enflammé, citant la phrase hors contexte et faisant mal paraître la présidente du jury.

Mais hier, à l'exception de ce sous-entendu ironique, tout était oublié pour cette actrice hors pair, gagnante de 3 Oscars (et 19 fois finaliste), qui donnait la classe de maître la plus courue en ville.

Devant elle, une salle enthousiaste et pâmée, constituée d'aspirants acteurs, de gens du public et de journalistes ayant furieusement harcelé les organisateurs pour obtenir un billet.

Portant une de ses nombreuses robes tuniques pas particulièrement seyantes mais probablement signées Prada, Mary Louise Streep, 66 ans, s'est confiée pendant 90 minutes avec humour et franchise. 

L'intervieweur Peter Cowie, un Britannique et historien du cinéma de 76 ans, n'était pas des plus dynamiques, posant des questions molles entendues mille fois. Mais une de ses questions a toutefois été à l'origine d'un moment d'anthologie. Juste avant de présenter un extrait du film The Iron Lady où Meryl Streep incarne Margaret Thatcher, il lui a demandé si c'était pénible d'enfiler chaque matin toutes ces prothèses et ces couches de maquillage pour se vieillir. Meryl Streep a ouvert la bouche et laissé passer un courant d'air passer avant de répondre: «Je vais vous décevoir, mais je ne portais ni prothèses ni des couches de maquillage. Celle que vous avez vue, c'était moi, mais prise dans un certain éclairage.»

Puis devant le malaise du pauvre homme, elle a ajouté: «Écoutez, c'est impossible d'avoir une carrière aussi longue et de jouer une grande diversité de personnages en maintenant une image léchée et vaniteuse de couverture de magazine. C'est impossible et de toute façon, c'est stupide, inutile et on s'en fout!»

Par cette tirade sincère et musclée, Meryl Streep venait de nous rappeler que c'est parce qu'elle a, entre autres, laissé sa vanité au vestiaire qu'elle est la formidable et talentueuse actrice qu'on aime tant.

Ceux qui suivent sa carrière savent qu'elle a tourné son premier film (Julia) tard, alors qu'elle approchait de la trentaine. Mais hier, elle nous a raconté ses tourments adolescents dans le New Jersey.

«Ado, je me sentais seule, différente, incomprise. Je ne faisais jamais partie du groupe le plus populaire. Quelqu'un qui m'a connue à ce moment-là vous dirait peut-être le contraire, mais c'est comme ça que je me sentais à l'intérieur.»

On pourrait croire que dès que sa carrière a pris son envol avec des films comme Sophie's Choice, Kramer vs. Kramer, Out of Africa et The French Lieutenant's Woman, les choses se sont arrangées, mais pas vraiment.

«À 38 ans, j'étais convaincue que ma carrière était terminée. C'est d'ailleurs pourquoi j'acceptais tous les rôles qui passaient en disant à mon mari: j'ai pas le choix, c'est mon dernier. J'arrivais d'une époque où les actrices ne travaillaient plus passé 40 ans ou alors étaient confinées dans des rôles de grands-mères et de sorcières. Et dites-vous que ces rôles m'ont aussi été proposés plus d'une fois! Je pense que c'est d'ailleurs pourquoi j'ai finalement accepté de faire la sorcière dans Into the Woods

«Meryl, est-ce qu'un acteur devrait suivre une formation?», a demandé une aspirante actrice dans la salle. Celle qui a étudié l'art dramatique à Yale a souri en soupirant. Si on ne lui a pas posé la question cent fois...

«Si vous voulez jouer une grande diversité de personnages et avoir une carrière polyvalente, alors la réponse est oui. Mais je connais des acteurs sublimes sans formation. Un acteur n'a pas nécessairement besoin d'une formation, mais ça vous aide le jour où vous butez sur une scène qui vous échappe totalement. Et laissez-moi vous dire que ça arrive souvent.»

Quelqu'un lui a demandé si elle avait déjà envisagé de passer à la réalisation.

«Certains réalisateurs vous diront que j'ai souvent réalisé à leur place, mais non. Ce sont deux muscles différents et bien franchement, je ne suis pas assez vite sur mes patins pour sortir de mon personnage et aller choisir une lentille de caméra ou décider de l'emplacement des toilettes. Ça m'ennuierait plus qu'autre chose.»

On ne demande pas de recettes à Meryl. Pas plus qu'on ne lui demande son film ou son cinéaste préféré. Mais on peut lui demander, comme l'a fait une actrice dans la salle, ce qui l'a nourrie toutes ces années. La réponse était du pur Meryl Streep. Ce qui l'a nourrie, c'est son mari, le peintre Don Gummer, ses quatre enfants et les relations profondes qu'elle a nouées dans la vraie vie. Ce qui revient à dire que pour être vrai au cinéma, il ne faut jamais oublier de vivre.