Pour sa première réalisation, Ken Scott emmène Roy Dupuis, Claude Legault, Paolo Noël, Jean-Pierre Bergeron et Patrice Robitaille sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Un chemin de croix qui mènera cinq lascars tout droit à la richesse, en passant peut-être par la case prison.

Scénariste, auteur de deux des plus grands succès de l'histoire du cinéma québécois - Maurice Richard, de Charles Binamé et La grande séduction, de Jean-François Pouliot - Ken Scott passe derrière la caméra pour la première fois à la réalisation avec Les doigts croches.

«La réalisation et la scénarisation, c'est la même chose, estime Ken Scott. La différence, c'est qu'en scénarisant, on invente, mais en réalisant, on crée. On est dans le vrai monde, avec de vraies contraintes. Il faut se battre pour que l'univers se tienne.»

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L'univers des Doigts croches est, cette fois, bien différent de ceux explorés précédemment par Ken Scott. Dans les années 60, cinq petits malfrats sortent tout droit du «faubourg à mélasse» montréalais pour se retrouver sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Ensemble, ils doivent marcher et changer s'ils veulent récupérer un magot caché en Espagne.

«C'est une bonne base de comédie: il y a la petitesse de ces gens, et le chemin mystique», dit Ken Scott. Caféinomane, le scénariste confie avoir d'abord été inspiré par des conversations glanées dans le café où il écrit et où se réunissaient aussi des «narcotiques anonymes».

«Ces gars-là étaient des durs: ils se confiaient des vérités intimes, il y avait tout un contraste entre leur apparence physique et ce qu'ils se racontaient. J'aime ces contrastes, comme celui entre la comédie et la comédie dramatique, raconte Scott. J'avais cette image des types en cravate et beaux souliers sur un chemin de terre.»

Son chemin de croix, Ken Scott l'a aussi connu pour mener à bien son projet. D'abord écrit pour un réalisateur et un public français et pour un tournage en Espagne, Les doigts croches est finalement devenu un film plutôt québécois, tourné en Argentine, coproduit aussi par la France.

«C'était moins cher qu'en Europe. Et dans le fond, ce que l'on reproduit, c'est le chemin des années 60. Il a beaucoup changé depuis. Aujourd'hui, il est tout balisé. De toute façon, il fallait recréer tout ça, explique Ken Scott. Je voulais filmer quelque chose qui justifie un tournage à l'étranger. Je devais filmer quelque chose de très ennuyeux, un chemin, sans que ce soit ennuyeux. C'est important, donc, d'avoir un film où les paysages et les auberges sont toujours en train de changer.»

L'aventure, c'est l'aventure

Pendant 33 jours de tournage sur deux mois, l'équipe québécoise se rend donc en Argentine où un club d'admirateurs de Roy Dupuis n'a pas tardé à se manifester. L'an dernier, La Presse avait même reçu une série de photos de l'acteur sur le plateau destinées à ses admirateurs, au grand dam du producteur du film.

«Il y a bien des clubs d'admirateurs au Japon, alors non, je ne suis pas étonné», répond Roy Dupuis, manifestement rodé aux manifestations d'intérêt féminines. Pourtant, comme pour une grande partie de la distribution, Roy Dupuis n'avait jamais voyagé en Argentine. «J'ai adoré ça», dit le comédien.

L'aventure argentine n'a pas non plus été sans surprises pour le réalisateur. «Pour ma première journée en tant que réalisateur, on tournait à deux heures de notre base. Je me prépare à toutes les éventualités. Et ce qui se passe, c'est que (l'équipe technique) a perdu les acteurs pendant cinq heures! On était dans les montagnes, on ne pouvait même pas les appeler», se souvient Ken Scott.

La grandeur et la majesté des paysages argentins a aussi permis à Ken Scott de mettre en mouvement un huis clos: «C'est aussi un road-movie, il y a un paysage en mouvement. C'était riche pour moi.» Les acteurs sont d'ailleurs souvent filmés en groupe sur le chemin: «Je voulais qu'il y ait un maximum d'acteurs à l'écran.»

Les sentiments humains

Rodé au comique de situation, Ken Scott signe, avec Les doigts croches, une comédie sans répliques-chocs.

«Les prémices sont rigolotes, propices à des blagues, mais ce qui fonctionne ici c'est plus un comique de situation. Le film est bâti comme un chemin de croix: il y a une langueur installée dans les gags aussi», juge Patrice Robitaille.

Habitué aux larmes (Minuit, le soir et bientôt Les sept jours du talion, de Podz) et aux rires (Dans une galaxie près de chez vous), Claude Legault distingue la «comédie» de la «comédie-comédie». «La comédie-comédie, c'est des punchs. Tu as aussi les feel good movies. Les doigts croches, c'est un peu Pagnol, il y a l'ambiance, le décor, le rythme ou encore la chaleur des personnages.»

Tout comme La grande séduction touchait, mine de rien, au coeur d'un drame social (la désertion des villages), Les doigts croches s'inspire aussi d'un sujet propice aux émotions, l'amitié masculine.

«Je voulais vraiment que le spectateur sente que ces personnages ont grandi ensemble», rappelle Ken Scott.

Avant le tournage, le scénariste et réalisateur a montré à ses comédiens une photo d'enfants des quartiers populaires, dans les années 40. Tout e la distribution s'est retrouvée aussi quelques jours avant le tournage, pour s'assurer de la complicité, à l'écran, des uns et des autres.

«Je suis choyé d'avoir eu d'aussi bons acteurs dans le film. Il ne restait qu'à les guider vers ma vision, dit Ken Scott. Je trouve que c'est un film qui me ressemble. C'est une comédie dramatique comme je les aime.»

Assurément conquis par son expérience de réalisateur, Ken Scott n'a pas renoncé à la scénarisation. Il travaille toujours à l'adaptation au cinéma du roman Hana's Suitcase et a aussi un nouveau projet avec son complice Jean-François Pouliot (La grande séduction, Guide de la petite vengeance).

«Je veux faire des films dont je suis fier. Le succès, en création, n'est pas l'objectif numéro un», assure-t-il.