Denis Côté a entrepris mercredi dernier le tournage de son 11e long métrage. Répertoire des villes disparues relate une histoire à 10 personnages, campée dans un village où rôdent des êtres mystérieux.

Mettant en vedette Robert Naylor, Josée Deschênes, Jean-Michel Anctil, Diane Lavallée et Rémi Goulet, le film marque une volonté pour le cinéaste d'emprunter une approche un peu plus désinvolte en laissant le naturel intervenir dans la fabrication de son film.

Doté d'un budget de 2,1 millions de dollars, Répertoire des villes disparues sera tourné en 26 jours, sur pellicule Super 16, et devrait être prêt à l'automne.

Un film d'hiver

Répertoire des villes disparues est campé au beau milieu de la saison froide. Les deux premiers jours de tournage ont pourtant été marqués par un temps doux. «Là, je serais supposé être en petite boule dans un coin parce que je perds mon hiver! a déclaré le cinéaste deux jours avant le début du tournage. Ça m'agace, mais on va vivre avec. La machine est lourde, mais là, je voudrais que la liberté qu'on trouve dans mes films plus expérimentaux contamine mes films dotés de plus gros budgets. Il faut que je sois un petit peu délinquant. Mes "gros" films, je les aime surtout grâce aux acteurs. J'aime entendre mes mots à travers eux. J'aime moins la machine autour.» Joint de nouveau après la deuxième journée de tournage, le cinéaste semble avoir bien composé avec les caprices de la météo. «Un vague désespoir devient résignation et devient excitation. On vit avec les traces d'hiver et on accepte», nous a-t-il écrit.

Une première adaptation

Pour la première fois de sa carrière, Denis Côté s'est inspiré d'une oeuvre existante pour écrire son scénario. «Être le moteur unique de mes films devient épuisant. Comme je ne fais pas partie de l'industrie et qu'on ne m'appelle jamais pour réaliser des séries télé, des publicités ou des clips, il me faut écrire mes choses. Je me suis mis moi-même dans le champ gauche, à vrai dire. Un certain respect flotte sur ma personne, mais jamais on ne m'appellera pour réaliser quelque chose.»

Dans le cas de Répertoire des villes disparues, quelqu'un m'a proposé la lecture du court roman de Laurence Olivier. 

J'ai apprécié cette poésie éclatée, mais je ne voyais pas de film là-dedans. J'ai néanmoins contacté l'auteure, et elle m'a dit être très fan des États nordiques et de Curling. J'en ai fait une adaptation très libre, mais l'esprit du bouquin est là.» 

Une nouvelle approche

«Curling fut ma plus belle aventure, et j'essaie de retrouver le même esprit, indique Denis Côté. J'ai aussi eu envie de brasser les cartes. À quelques exceptions près, l'équipe est entièrement renouvelée. Mon approche, en fait, est toujours en réaction au film précédent. Je ne considère pas Boris sans Béatrice, mon dernier film de fiction, comme un échec, mais il ne s'agit pas d'un sommet dans ma carrière non plus. Je ne veux plus d'une préparation aussi rigide, même si elle te donne l'impression de vraiment bien faire ton travail et de pouvoir répondre à toutes les questions. Or, c'est faux. Avec ces règles, tu enfermes ton film dans un carcan, et les acteurs peuvent aussi se sentir prisonniers de leurs marques. J'ai toujours avec moi mon petit carnet dans lequel j'ai mis mon découpage, scène par scène. Avec des notes que seuls le directeur photo et moi pouvons vraiment comprendre. J'ai aussi une liste de petites choses inconnues de tous, que je risque peut-être d'utiliser, comme un plan B.»

Photo David Boily, La Presse

Le plan de travail d'une journée de tournage de Répertoire des villes disparues

L'art du casting

«Il paraît que je fais une chose que personne d'autre ne fait: trouver mes acteurs moi-même, tout comme les [lieux de tournage]. Je ne peux concevoir qu'on puisse faire autrement. Je suis chez moi, je regarde les acteurs travailler dans différentes séries à la télé et je prends des notes, au cas où certains d'entre eux pourraient correspondre à un personnage que j'ai en tête. Je prends beaucoup de plaisir à faire ça. Ce n'est pas à un acteur professionnel de se vendre à moi, mais à moi de le choisir et de le diriger. Voir passer des gens dans un bureau pour une audition avec des numéros comme des morceaux de viande, ça ne m'a jamais plu. Et puis, quand tu les choisis sans leur faire passer un essai, les acteurs sont heureux et ils se donnent à fond.»

La direction d'acteur

«Quand je rencontre un acteur, je lui explique tout mon film, et aussi le chemin par lequel je suis passé pour en arriver là, raconte le cinéaste. Je suis pratiquement le seul à parler. À la fin, je lui demande si ça l'intéresse. Pour Répertoire des villes disparues, on a fait deux lectures avant le tournage, et c'est tout. Je déteste les répétitions. Je préfère voir les acteurs dans leur costume, jouer le jour même du tournage. Je veux être surpris, quitte à ce que ça sorte tout croche et que je m'en veuille ensuite. J'aime ce sentiment de travailler sans filet. Le revers, c'est que les acteurs ne savent pas toujours s'ils font la bonne chose. Je ne suis pas beaucoup dans la distribution d'amour et la petite tape dans le dos non plus, mais ils sont prévenus. Je me dis que ce sont des professionnels et que nous travaillons tous dans un but commun. Ils savent qu'ils n'auront pas affaire à un réalisateur chaleureux, mais ils savent aussi que je ne vais jamais les heurter ni faire de crise.»

Une attitude plus désinvolte?

«À cause de mon état de santé [le réalisateur souffre d'une maladie dégénérative du rein], je ne peux pas me projeter dans des projets de fous que j'aimerais faire dans le futur. Mon niveau de rêve est à la mesure de mes capacités. Je ne me mets plus aucune pression sur les épaules en termes d'accueil critique, de rendement au box-office ou de sélections dans des festivals. J'ai le privilège d'avoir 10 films derrière moi. J'aimerais pouvoir enchaîner des films comme Hong Sang-soo, qui tourne de façon légère. Chez nous, la machine est professionnelle, lourde, et il faut demander des permissions partout. Je ne suis pas devenu amer ni cynique à propos du fait que mes films obtiennent plus de succès à l'étranger que chez moi, mais il me faut ne plus vouloir régler ce problème pour être en paix avec mon travail et moi-même. Si ce film devient le plus radical de ma filmographie, eh bien, ce sera ça.»

Un enfant des festivals. Pour toujours.

Révélé par le Festival de Locarno, Denis Côté est l'un des cinéastes québécois les plus prisés sur le circuit des festivals internationaux. «Je suis en paix avec ça et je suis bien là-dedans. Je n'ai pas honte de rien. Mon âge, ma santé, ce que j'ai accompli, tout fait du sens. Je ne suis pas non plus hanté par l'idée de faire mon "gros" film un jour. Au Québec, on s'attend à ce que ça monte tout le temps et on sent une pression sociale de réussite. Mais moi, je peux très bien faire un film à petit budget après en avoir fait un avec de plus grands moyens.»

Image fournie par la maison d’édition

Le film de Denis Côté est une très libre adaptation du roman de Laurence Olivier.