Le dessinateur et bédéiste québécois André Montpetit (surnommé Arthur) a été décrit dans les années 60 et 70 comme un maître et un génie. Mais la perspective de réussir l'a fait fuir toute sa vie. Jusqu'au jour où il a disparu. Le documentariste Saël Lacroix nous fait le portrait de cet artiste tourmenté méconnu... qu'il a fini par retrouver!

Si vous ne savez pas qui est André Montpetit, vous n'êtes pas seul. La vérité est que cet artiste inclassable a déployé des efforts considérables pour éviter d'être connu. Au point de détruire 95 % de tout ce qu'il a dessiné. Ce qui n'est pas peu dire puisqu'on raconte dans son entourage qu'il dessinait presque tout le temps!

Même s'il a marqué ses proches, son histoire aurait bien fini par être oubliée, n'eût été le travail du documentariste Saël Lacroix. Dès le départ, l'homme de 36 ans établit le lien qui l'unit à son sujet: son père, le peintre et graveur Richard Lacroix, a côtoyé André Montpetit pendant une vingtaine d'années. Il a grandi avec ses dessins dans sa maison.

«Mon père avait fondé L'atelier libre de recherche graphique et le collectif Fusion des arts, deux groupes que fréquentait André Montpetit, raconte-t-il. La première fois qu'il m'a parlé de lui, je devais avoir 14 ou 15 ans. Son histoire puis sa disparition m'ont marqué. Quand j'ai commencé à travailler comme cinéaste, je me suis dit qu'il y avait là une bonne histoire à raconter.»

Saël Lacroix a rencontré des gens qui ont fréquenté l'artiste. Les dessinateurs Marc-Antoine Nadeau et Michel Fortier, le graveur Louis Forest, le critique et historien Robert Daudelin, le cinéaste André Gladu, le caricaturiste Serge Chapleau, le poète Claude Haeffely, etc. Ensemble, ils tracent les contours d'André Montpetit, un homme à la fois lumineux et ombrageux, talentueux et anxieux.

Décrit par les critiques de l'époque comme le maître de la bande dessinée québécoise, André Montpetit fait partie du collectif Chiendent et devient l'un des pionniers de la bédé. Il publie ses dessins dans le magazine Perspectives, tout en se distinguant comme illustrateur, affichiste et satiriste. Tout ce qu'il faisait attirait l'attention. Malgré cela, la part ombrageuse de l'homme a toujours eu le dessus.

«Partout où il est passé, les gens ont reconnu son talent, mais chaque fois que ses projets ont eu du succès, il les a sabotés, précise le documentariste. Après avoir collaboré à cinq numéros, il a quitté Perspectives; après avoir consenti à ce que ses textes soient publiés dans un recueil, il a fait volte-face. Il a même été embauché par l'ONF, qu'il a quitté après un mois...»

Retrouver son sujet

Parallèlement à ces entrevues, Saël Lacroix a tenté de retrouver le sujet de son document, que plus personne n'avait vu depuis 25 ans. Était-il même toujours en vie? Personne ne le savait. Après deux ans de recherches, une amie de jeunesse d'André Montpetit le met en contact avec son frère. C'est grâce à lui qu'il a retrouvé Arthur.

L'illustre anonyme combattait un cancer dans un hôpital montréalais. Que faisait-il depuis 25 ans? Est-ce qu'il dessinait toujours? Pourquoi avait-il constamment pris la fuite? Saël Lacroix est allé à sa rencontre.

«Son état de santé était très précaire. Dès qu'il m'a vu, il m'a dit: "Toi, t'es le fils de Richard Lacroix"», raconte avec émotion Saël Lacroix. 

«Je lui ai parlé de mon projet, il a accepté de me parler à la caméra, j'ai reconnu le personnage perspicace qu'on m'avait décrit. Mais le lendemain, il était revenu sur sa décision, comme il l'avait fait toute sa vie. Il ne voulait plus rien savoir...»

Saël Lacroix a tout de même réussi à gagner la confiance d'Arthur - un surnom inspiré d'une chanson de Boris Vian (Arthur, où t'as mis le corps?). Mais il ne voulait pas que ses amis de l'époque (y compris son père) ne viennent à son chevet. Au fil d'une dizaine de rencontres, il lui a posé les questions qu'il voulait. Un mois après l'avoir retrouvé, André Montpetit s'est éteint.

Évidemment, le portrait qu'il voulait faire de l'homme a pris une tournure inattendue. Pour donner la parole à André Montpetit, il l'a représenté en dessin animé. Ce dernier segment du document est particulièrement brillant. Le vieil homme y dévoile une partie du mystère qui l'a enveloppé de son vivant.

«C'est un destin tragique, nous dit Saël Lacroix, qui a profité de la sortie de son film pour exposer une quinzaine d'oeuvres de l'artiste. Toute sa vie, il a été poussé parce qu'il avait un talent hors normes, mais le succès n'avait aucune emprise sur lui. La dernière fois que je l'ai vu, il m'a dit: "C'est peut-être que je ne m'aime pas. En fait, c'est exactement ça, je ne m'aime pas."»

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Sur les traces d'Arthur est à l'affiche à la Cinémathèque québécoise.