Pour la première fois de sa carrière, Russell Crowe se frotte à la pure comédie avec The Nice Guys. Rencontré à Los Angeles, l'acteur aussi imposant que polyvalent discute d'humour, de magie et... d'Océanie.

C'est ce qu'on appelle avoir de la présence. Par le seul fait d'être « là », Russell Crowe semble occuper la moindre parcelle de la pièce. Comme s'il l'avait « aspirée ». 

Ajoutons à cela sa carrure impressionnante, sa voix d'outre-tombe et sa réputation - celle d'avoir un caractère... sanguin - et, il faut l'admettre, la situation est un brin intimidante. Puis, tombe la formule de bienvenue, accompagnée d'un sourire avenant. L'acteur natif de la Nouvelle-Zélande, qui a grandi en Australie et est « né » aux États-Unis grâce à L.A. Confidential (1997) puis Gladiator (2000), est d'excellente humeur.

La journée a pourtant été longue : depuis le matin, dans une suite d'hôtel, il accorde interview après interview, en table ronde ou en tête à tête. Son sujet : The Nice Guys, la comédie de Shane Black dans laquelle il est en vedette avec Ryan Gosling. Mais il n'a pas hésité à accoster sur d'autres rivages en compagnie de La Presse.

C'est la première fois qu'on vous voit dans une pure comédie. Qu'avez-vous appris de cette expérience ?

Je ne sais jamais comment expliquer ça, mais le genre du film n'a pas d'importance. Que ce soit un drame ou une comédie, une romance ou un thriller, c'est toujours le même travail. Vous devez comprendre le personnage, puis le jouer. Ces deux types, dans The Nice Guys, ils ne pensent pas être drôles. Dans leurs têtes, ils sont solidement ancrés dans leur monde. Ils se retrouvent plongés dans des situations absurdes dont ils ne voient pas l'ampleur de... l'absurdité. Donc si vous les jouez en cherchant les rires ou le gag, ça ne fonctionnera pas.

On vous a vu dans des drames, des thrillers, des films d'époque, même un drame biblique (Noah), un film musical (Les Misérables) et un film de superhéros (Man of Steel). Et même si, comme vous l'assurez, c'est toujours le même travail, il n'est pas donné à tout le monde d'être aussi à l'aise dans tous les genres. Vous êtes visiblement fait pour ce métier. Vous l'avez toujours su ?

J'ai baigné dans ce milieu très jeune. Mon grand-père maternel était directeur photo et le parrain de ma mère, producteur télé. C'est lui qui a donné à mes parents l'idée de devenir traiteurs pour des plateaux de tournage, ce qu'ils ont fait quand j'avais entre 5 et 9 ans.

J'ai donc visité des plateaux et trouvé ça très excitant, mais... Vous savez, beaucoup de gens disent vouloir être acteurs. Ils disent le vouloir, mais le seul lien qu'ils ont avec ce métier est d'avoir été assis devant leur téléviseur ou dans un cinéma. C'est une expérience théorique, à distance.

De mon côté, je me suis trouvé sur des plateaux de films que j'ai vus après à la télévision. Je savais que le sous-marin n'était pas un vrai sous-marin et que cette porte-là ne menait nulle part. Cette « magie » que la plupart des gens expérimentent de l'extérieur a disparu pour moi. Elle a été remplacée par une autre, pratico-pratique, celle-là. Pas la magie du produit fini, mais la magie qui vous permet d'arriver au produit fini.

Cette expérience concrète du métier a fait que quand, à 18 ans, je passais des auditions, j'avais un avantage sur les autres jeunes de mon âge. Je comprenais la nature d'un travail que je voulais faire non pas pour devenir célèbre, mais pour faire part de l'aventure narrative.

L'éclectisme dont vous faites preuve semble être la norme chez les acteurs et actrices venant d'Australie et de Nouvelle-Zélande, lesquels sont, en plus, très nombreux à percer à Hollywood. Est-ce que ça s'explique par quelque chose qui se trouve dans l'eau ou la nourriture, en Océanie ?

(rires) C'est en fait quelque chose de culturel. Aux États-Unis, vous grandissez en regardant vers l'intérieur. Par exemple, vous avez une Série mondiale de baseball... où s'affrontent en fait deux pays. En Australie, cette grosse masse de terre habitée à la frontière de l'univers (rires), vous grandissez en regardant vers l'extérieur. On a là un genre de rite de passage voulant qu'à un moment donné, vous allez traverser la mer, visiter l'Europe, les Amériques. Les Australiens et les Néo-Zélandais sont de bons voyageurs. Ils communiquent très aisément avec tout le monde, c'est inné dans notre culture. Nous sommes perméables, et ça aide à jouer.

Nous mettons aussi beaucoup d'accent sur la lecture. Nous lisons des livres récents, nous lisons des classiques. Nous lisons. Et lire, c'est VOUS, les mots et votre imagination. Être acteur, c'est ça. Des mots, votre imagination, et vous.

Nous sommes également en contact avec du cinéma et de la télévision provenant du monde entier. Concrètement, changer notre accent, en adopter un autre, nous vient facilement.

Enfin, dans les années 70, notre gouvernement a mis en place des mesures qui ont permis une renaissance de notre cinéma, un cinéma qui raconte des histoires qui nous ressemblent et qui se passent chez nous. On a vu émerger des réalisateurs comme Fred Schepisi, Gillian Armstrong, Phillip Noyce, Peter Weir. Et quand, à 12 ans, je suis allé voir The Last Wave, l'autobus qui se trouvait à l'écran était celui que je prenais pour aller à l'école, pas le gros truc jaune américain. L'expérience est complètement différente. Elle permet une identification, donne une impression que jouer, percer, créer est faisable.

The Nice Guys (Les bons gars) est présentement à l'affiche.

Photo Daniel McFadden, fournie par Warner Bros.

Ryan Gosling et Russell Crowe dans The Nice Guys