Après avoir raconté dans ses films la réalité moderne de la vie rurale, Guy Édoin a eu envie d'urbanité. Monica Bellucci, Pascale Bussières, Aliocha Schneider et Patrick Hivon l'ont suivi dans son aventure cinématographique.

Marécages, le premier long métrage de Guy Édoin, a beaucoup voyagé sur le circuit international des festivals de cinéma. Le jeune cinéaste a suivi son film partout, racontant d'un pays à l'autre la genèse de ce drame rural très dur, campé dans le décor d'une ferme laitière.

« J'avoue qu'au bout d'un moment, j'ai eu besoin d'une rupture, explique le cinéaste en entrevue. J'ai voulu m'extirper de cette lourdeur. Quand je me suis mis à écrire, j'ai souhaité sortir de ma zone de confort, histoire de ne pas me cantonner dans un seul style non plus. Après avoir raconté le milieu rural pendant 10 ans dans mes courts métrages et dans Marécages, j'ai eu envie d'urbanité. Moi qui vis à Montréal depuis maintenant 17 ans, je me suis senti légitimé de faire un film campé dans la ville. »

UN « FILM DANS LE FILM »

Ville-Marie est d'abord né de cette volonté, mais aussi d'une envie qu'avait le cinéaste de cristalliser en un film tous ses désirs de cinéma. D'où l'idée du « film dans le film », comme une mise en abîme inspirée du cinéma des années 50.

« J'adore le cinéma, précise Guy Édoin. J'en consomme beaucoup. De tous les genres et de tous les styles. Du plus pointu au plus commercial. Je suis un grand admirateur du cinéma de Douglas Sirk et des cinéastes qui n'hésitent pas à rendre hommage à ceux qui les ont influencés. Pedro Almodóvar, notamment. J'aime aussi beaucoup les films choraux à la Robert Altman, mais je ne voulais pas me lancer dans une entreprise aussi complexe. Avec Jean-Simon DesRochers, qui a collaboré à l'écriture du scénario, on s'est limités à quelques personnages, qui évoluent dans une structure bien établie. »

Tenant à bien ancrer les situations que vivent les personnages dans le réel, Guy Édoin a pris pour point de départ un événement aussi surprenant que tragique, qui est survenu dans la « vraie vie ». De là est venue l'idée de camper quelques personnages dans le milieu hospitalier. Et de ramener le personnage de la mère de Marécages, interprété par Pascale Bussières, qui a repris son métier d'infirmière et d'urgentiste.

« Et puis, il y a aussi beaucoup de tournages cinématographiques et télévisuels internationaux à Montréal maintenant, fait valoir le cinéaste. Avec tous ces jeunes Français qui viennent faire leurs études au Québec, la possibilité que le fils ou la fille d'une vedette européenne habite chez nous est très réelle aussi. J'ai toujours le souci de la crédibilité. C'est important à mes yeux. »

D'où cette visite d'une grande star internationale (Monica Bellucci), qui vient dans la métropole québécoise pour tourner un film largement inspiré de sa vie personnelle, réalisé par un cinéaste avec qui elle a déjà vécu. Un mélo assumé dont le style rappelle justement ce cinéma des années 50, où les actrices étaient particulièrement magnifiées.

« C'est comme un hommage au cinéma que j'aime, précise Guy Édoin. Je trouvais intéressant de donner à Monica le look d'une héroïne hitchcockienne quand elle joue le personnage du "film dans le film". Je me suis fait plaisir en jouant avec les codes du cinéma du passé et du présent. Quand Monica est arrivée sur le plateau, nous avions déjà deux semaines de tournage derrière nous. Nous étions préparés. Et bien rodés ! Monica et Pascale ensemble, c'était magique. Pascale, c'est mon Stradivarius. Elle te donne toujours la note parfaite ! »

UNE VILLE, LA NUIT

Le tournage de Ville-Marie s'est exclusivement déroulé la nuit. Pour les acteurs, ce contexte crée forcément une condition plus particulière. Tous sont ravis de leur expérience. Pascale Bussières affirme en outre que même si cet élément n'est en rien essentiel à la compréhension du récit, le fait de savoir que le personnage qu'elle incarne est celui de Marécages enrichit forcément son approche.

« Il est rare qu'on retrouve ce genre de chose au cinéma, à moins qu'il s'agisse d'une vraie suite, fait-elle remarquer. Là, ce n'est pas du tout le cas. On voit ça davantage dans la littérature. Je trouve très beau qu'après avoir vécu un tel drame, Marie mette sa vie en exergue pour redevenir infirmière et tenter de se reconstruire en soignant les autres. »

« C'est un peu le propre de l'acteur, renchérit Patrick Hivon. On se glisse dans la peau d'autres personnages pour ne pas avoir à se jouer soi-même. C'est mon cas, en tout cas ! De mon côté, j'ai laissé mon subconscient agir, car je ne savais trop de quel côté se situait mon personnage d'ambulancier. Et puis, un tournage de nuit, c'est, pour moi, épouvantable ! Vers 20 h, je commence déjà à tomber dans la mélancolie. Je suis à fleur de peau. Si, en plus, je ne dors pas, je reste dans une espèce de no man's land et je me sens seul au monde. Ça peut donner des choses intéressantes à l'écran, cela dit. J'adore ce film. Guy a trouvé le moyen d'évoquer un contexte douloureux sans jamais tomber dans la complaisance. Et il fait même de l'humour ! »

Pascale Bussières, qui ne participait pas à la partie du « film dans le film », a aussi été impressionnée.

« Quand j'ai vu le film, je me suis rendu compte à quel point la proposition était forte sur le plan esthétique, dit-elle. Ça m'a ravie. Je constate aussi que les barrières sont tombées pour les jeunes cinéastes québécois. Cela n'était pas le cas il y a 25 ans. Tout est possible pour eux, y compris avoir accès aux plus grandes stars internationales. Ils n'ont plus de complexes. C'est merveilleux de participer à ça ! »

UNE ACTRICE TOUTE SIMPLE

La présence de Monica Bellucci a bien entendu eu son effet. Tous relèvent toutefois la grande simplicité et la gentillesse d'une actrice avec qui les rapports restent de même nature qu'avec n'importe quel autre partenaire de jeu.

« Dès la première rencontre, on oublie qui elle est après quelques minutes à peine tellement les rapports sont simples avec elle, fait remarquer Aliocha Schneider, l'interprète de son fils. J'ai beaucoup appris en la regardant jouer. »

Après avoir été lancé en primeur mondiale au festival de Toronto, où il a reçu un accueil très chaleureux, Ville-Marie sera bientôt présenté dans la sélection officielle du festival de Rome, lequel se tiendra du 16 au 24 octobre. Monica Bellucci accompagnera Guy Édoin pour l'occasion là-bas.

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Ville-Marie prendra l'affiche le 9 octobre.