Enlisée dans une forte crise au milieu des années 2010, l'industrie du doublage est parvenue à mettre ses pires moments derrière elle. Mais elle se démène toujours pour faire valoir son importance.

Au Québec, le doublage va mieux. « En ce moment, sur le marché, il y a une certaine stabilité », indique François Deschamps, membre de l'Association nationale des doubleurs professionnels (ANDP). Il y a quatre ans seulement, pourtant, le bilan était déplorable.

Des diffuseurs numériques ayant décidé de se tourner surtout vers la France pour doubler leurs productions, la concurrence étrangère s'est intensifiée pour le marché francophone. Et le gouvernement aurait continué à garder le dos tourné, selon l'Union des artistes (UDA), malgré les appels dans le milieu à protéger le doublage québécois.

Il ne s'agissait pas de la première crise traversée par le secteur du doublage, mais celle-ci était d'une ampleur sans précédent.

« J'ai toujours considéré le doublage comme faisant partie de mon métier, donc [durant la crise] j'ai eu peur. J'ai eu une grosse panique. Le drapeau rouge était levé, explique la comédienne Catherine Proulx-Lemay, qui prête notamment sa voix à Zoe Saldana, à Olivia Wilde, à Megan Fox et à Blake Lively. Je me suis dit qu'il fallait sauver notre industrie, parce qu'il n'y aurait plus de doublage québécois. »

Baisse des contrats, baisse des tarifs

Il y a quelques années, « certains pays se sont mis à offrir du doublage à très, très bas prix et ça a créé un phénomène qu'on pourrait qualifier de dumping », explique Louis-Georges Girard, vice-président de l'UDA et responsable de la commission sur le doublage.

Le Québec a vu de plus en plus de ses contrats de doublage attribués à l'étranger et y a perdu des plumes. Quand Netflix a annoncé en 2014 que la série House of Cards, doublée durant deux saisons au Québec, ne serait dès lors doublée qu'en France, le milieu québécois a vécu une de ses pertes les plus importantes. L'UDA a constaté à l'époque une baisse de 34 % du nombre de contrats de doublage dans la province.

« Tout le monde a ressenti l'impact de la crise, même ceux qui en font énormément. »

- La comédienne Catherine Proulx-Lemay

Considérablement fragilisé, le secteur a dû opter en 2015 pour une baisse des tarifs des doubleurs et des directeurs de plateau d'environ 20 %, votée au sein de l'UDA et de l'ANDP. Les résultats se sont avérés positifs. « Il y a eu une augmentation du travail équivalente à la baisse de tarifs, donc les pertes prévues ont pu être freinées », raconte Louis-Georges Girard.

Récemment, une parcelle de l'aide gouvernementale demandée depuis plusieurs années a été accordée par le provincial et permettra de rendre l'offre québécoise plus concurrentielle. Une nouvelle politique culturelle annoncée il y a un mois par le gouvernement Couillard prévoit une bonification du crédit d'impôt aux producteurs pour le doublage de films. « Le Plan économique du Québec de mars 2018 prévoit l'élimination du plafond limitant les dépenses de main-d'oeuvre admissibles à 45 % de la valeur d'un contrat de doublage, lit-on dans un rapport. Cette bonification du crédit d'impôt pour le doublage de films impliquera un soutien additionnel de 3 millions de dollars sur cinq ans. »

Garder la tête hors de l'eau

Le marché du doublage représente environ 30 millions de dollars par année au Québec, fait travailler près de 800 personnes et rapporte un cachet annuel de 10 millions de dollars, explique Louis-Georges Girard. Pour ne pas que ces chiffres baissent de façon draconienne, l'UDA et l'ANDP travaillent de concert, notamment au sein de la commission du doublage bipartite dirigée par M. Girard.

Par le passé, des appels avaient été lancés aux gouvernements pour que le doublage de productions diffusées au Québec se fasse systématiquement ici.

Mais le vice-président de l'UDA ne voit pas cette idée comme une solution réaliste ou souhaitable. « Une loi protectionniste, actuellement, ce n'est pas un bon timing et je ne vivrai pas assez vieux pour voir le moment où on imposera aux Américains de doubler ici », précise-t-il.

« Au moins, ce qui nous protège au niveau de la loi, par rapport à la SODEC, c'est que les producteurs québécois qui produisent beaucoup en anglais doivent faire le doublage français au Québec. »

- François Deschamps, membre de l'Association nationale des doubleurs professionnels (ANDP)

De nombreux producteurs canadiens travaillant avec des fonds nationaux se tournent également vers le Canada français pour leurs voix francophones. « Mais ils n'y sont pas obligés et ne le font pas tous, précise M. Girard. Forcer les organismes subventionnaires à obliger les producteurs du Canada à doubler au Québec, c'est quelque chose qu'on souhaite vraiment. »

Se reconnaître

Pour MM. Deschamps et Girard, ce combat pour le doublage en retourne surtout d'une chose : l'identité québécoise. Une production traduite au Québec permet au doublage québécois de mettre de l'avant ses couleurs. Les emplois pèsent aussi, bien sûr, car « l'industrie est petite, mais fait travailler pas mal de monde », rappelle M. Deschamps.

Pour lui, il est question de se reconnaître dans « nos textes, mais aussi dans nos acteurs, la voix, les jeux ». « Le doublage, c'est culturel, ça nous appartient », conclut-il. « Nous n'utilisons pas un langage typiquement québécois, mais un langage normatif qui est beaucoup près de nous », explique Louis-Georges Girard.

Le milieu a donc besoin du soutien des consommateurs, qui n'auront plus accès à du contenu qui leur ressemble sans un doublage réalisé au Québec, argue M. Girard. « Ce qu'on souhaite vraiment, c'est d'avoir l'appui du public. Si les gens faisaient sentir qu'il y a un engouement pour les productions traduites ici, les diffuseurs iraient en conséquence. »



photo fournie par l’ANDP

François Deschamps, membre de l'Association nationale des doubleurs professionnels (ANDP)

Des doubleurs font le point

Catherine Proulx-Lemay

La comédienne fait du doublage depuis plus de 15 ans. À l'époque où elle a commencé, le doublage « n'était pas très populaire », dit-elle. « Maintenant, c'est devenu une sorte d'incontournable, quand on est acteur, de faire de la surimpression vocale et du doublage. » Au moment de la crise du milieu des années 2010, Catherine Proulx-Lemay raconte avoir eu l'impression que si le doublage ne faisait soudainement plus partie de sa vie, elle retournerait à une précarité, « comme beaucoup de comédiens et comédiennes malheureusement ». Maintenant que le plus gros de la tourmente est passé, elle estime qu'il faut continuer de travailler pour promouvoir le doublage québécois, « faire valoir notre point, montrer qu'on a notre propre culture et que ça vaut la peine de faire du doublage ici ». « Je suis une éternelle optimiste, conclut-elle. Je pense qu'on est assez chanceux d'avoir un noyau solide de gens au Québec qui prennent le doublage à coeur et j'ai confiance en ces gens-là. »

Catherine Bonneau

Catherine Bonneau fait du doublage depuis 18 ans. Alors qu'elle souhaitait d'abord « élargir [ses] horizons » en se lançant dans le métier, c'est devenu son gagne-pain principal, raconte la comédienne, qui a doublé les voix d'Anna Kendrick, d'Amanda Seyfried, d'Hilary Duff et de Jessica Alba. « C'est un milieu que j'aime énormément, dit-elle. Il faut lire, respecter ce que l'acteur fait en dessous, mais aussi être créatif, parce que ça part de nous. J'aime le fait de devoir allier la technique au jeu. » Elle travaille maintenant depuis quelques années comme directrice de plateau en doublage, une compensation salariale qui fait qu'elle a personnellement moins ressenti les contrecoups de la dernière crise dans l'industrie. Mais « ça a été des années plus difficiles, il y a eu une baisse de travail et on l'a tous sentie ».

Thierry Dubé

Thierry Dubé dit avoir « toujours été fasciné par la voix et par le doublage ». Ce dernier est vite devenu sa principale activité économique à sa sortie du Conservatoire de Québec. Depuis les débuts des années 2000, il prête sa voix à Vin Diesel, Bobby Cannavale, Rhys Ifans et Peter Dinklage. Il est maintenant la nouvelle voix du personnage de Homer, dans Les Simpson. À la suite de la baisse des tarifs votée en 2015 pour tenter d'assurer la pérennité du doublage québécois, plusieurs changements se sont opérés dans le milieu. « Il y a des impératifs économiques, les conditions de travail ont été beaucoup affectées et sont plus difficiles », témoigne-t-il. Les artisans du doublage travaillent maintenant plus pour la même somme d'argent. « Sauf qu'on nous dit que tel ou tel film n'aurait pas été doublé ici si ce n'était pas de ces tarifs plus bas », ajoute-t-il. Pour lui, sauver le doublage québécois passera d'abord par une plus grande implication du gouvernement et une sensibilisation auprès du public pour qu'il réclame aux diffuseurs un doublage fait au Québec.

Photo Olivier PontBriand, Archives La Presse

La comédienne Catherine Proulx-Lemay