Très effervescent dans les années 60 et 70, le film politique se fait désormais très rare dans le cinéma de fiction québécois. Il s'exprime davantage sous la forme documentaire. En plus de rappeler la vigueur du genre à l'époque, nous explorons le phénomène avec quatre cinéastes. État des lieux.

On a trop de 10 doigts pour compter les films de fiction québécois construits autour de thèmes politiques au cours des 20 dernières années. À quelques exceptions près, les cinéastes contemporains préfèrent se tourner vers des thèmes plus intimes, ou s'attaquer à des enjeux plus larges.

Le résultat du premier référendum sur la souveraineté du Québec, tenu en 1980, a eu un effet marquant sur le cinéma québécois. Dans une interview accordée dans le cadre de l'excellente série documentaire Cinéma québécois, diffusée à Télé-Québec à la fin des années 2000, Denys Arcand a déclaré qu'à partir de ce moment, la politique ne présentait plus aucun intérêt à ses yeux. Celui à qui l'on doit quelques-unes des oeuvres politiques les plus pertinentes - et les plus percutantes - de notre cinéma, tant du côté des documentaires (On est au coton, Québec: Duplessis et après, Le confort et l'indifférence) que des films de fiction (Réjeanne Padovani, Gina), a répété sensiblement les mêmes propos à l'émission Tout le monde en parle il y a deux ans.

Alors? Disparu de notre paysage, le film politique? Pas tout à fait. Vrai qu'au lendemain de la défaite référendaire, la plupart des cinéastes ayant partagé ce grand projet collectif, et milité en sa faveur, se sont tus. Et encore plus au lendemain du résultat très serré du deuxième référendum sur la souveraineté, tenu en 1995.

Cela dit, certains d'entre eux ont persisté. Et signé. Au cours des années 80, Pierre Falardeau a notamment introduit Elvis Gratton dans notre imaginaire collectif. Ce personnage satirique, haut en couleur, renvoyait au peuple québécois l'image du parfait colonisé. Le polémiste a aussi été l'un des rares - tout comme Mathieu Denis maintenant - à aborder frontalement des sujets directement liés à notre histoire politique. Octobre et 15 février 1839 pour l'un; Laurentie et Corbo pour l'autre. Mais le fait est que le questionnement politique emprunte désormais plus souvent la forme documentaire.

Une autre façon

Si la réalité vécue dans ce Pays sans bon sens! a aussi parfois inspiré des comédies (Bon Cop, Bad CopFrench Immersion), il reste qu'on raconte maintenant ses enjeux d'une autre façon, au gré d'une nouvelle évolution. C'est ce que font notamment Denis Chouinard (ClandestinsL'ange de goudron), Philippe Falardeau (La moitié gauche du frigoMonsieur Lazhar), Anaïs Barbeau-Lavalette (Le ringInch'Allah), Robert Lepage (), Kim Nguyen (Rebelle) et quelques autres. Selon Philippe Falardeau, l'avenir du film politique québécois se situe manifestement du côté du féminisme et de la condition autochtone.

Les structures de production des longs métrages de fiction étant aussi très lourdes, il devient plus difficile de réagir promptement aux événements. Quelques films évoquant la crise d'Octobre ont été rapidement mis en chantier au début des années 70, y compris chez ceux qui privilégiaient une approche plus commerciale (Bingo de Jean-Claude Lord). Quatre ans après le printemps érable, seul L'amour au temps de la guerre civile (Rodrigue Jean) a fait écho à cette révolte sociale dans notre cinéma de fiction.

«Un film politique est, par définition, un film qui dérange. Or, le système d'évaluation des institutions fait en sorte qu'il est difficile, voire impossible, de réaliser un film dans l'urgence, en suivant une idée initiale. Je ne suis pas certain que dans le contexte actuel, avec toutes les discussions devant des comités, un film qui dérange puisse voir le jour», pense le producteur Roger Frappier.

«Il y a aussi que les jeunes cinéastes empruntent des démarches plus personnelles et se tournent vers l'intime. On est loin du cinéma de Ken Loach. Nous n'avons pas au Québec un cinéaste avec ce genre de trajectoire. Si Gilles Groulx était encore de ce monde, il aurait pu devenir notre Ken Loach, je crois», poursuit-il.

Image fournie par les Films Séville

Guibord s'en va-t-en guerre, de Philippe Falardeau

Un pays tranquille

Patrick Roy, président d'eOne Canada et des Films Séville, le plus important distributeur de films au Québec, estime de son côté que les cinéastes québécois peuvent difficilement s'appuyer sur l'histoire d'un pays aussi jeune. Et plutôt tranquille sur le plan politique.

«L'événement politique majeur du Québec est la crise d'Octobre de 1970, fait-il remarquer. À part ça, pour paraphraser Denys Arcand, on peut dire qu'il ne se passe pas vraiment grand-chose sur ce plan chez nous. Et je crois que la crise d'Octobre a déjà été abondamment traitée au cinéma. Je suis très ouvert à l'idée d'un bon film politique - j'adore le genre -, mais encore faut-il trouver un angle pour intéresser les gens. L'an dernier, nous avons sorti Guibord s'en-va-t'en-guerre en pleine campagne électorale. Le public n'a pas suivi.»

Reflet d'une société

La présidente et chef de la direction de la Société de développement des entreprises culturelles (Sodec), Monique Simard, verrait d'un très bon oeil le dépôt d'oeuvres fictives à caractère politique.

«Mais on ne nous en soumet pas, dit-elle. Ou très peu. Le cinéma de fiction est toujours le reflet des préoccupations d'une société. Il se place en réaction plutôt qu'en éclaireur. Même aux États-Unis, en France ou ailleurs, il faut souvent attendre plusieurs années après qu'un événement marquant a eu lieu avant que des films de fiction soient produits. C'est davantage du côté du documentaire que ça se passe. Je crois aussi qu'au cours des prochaines années, notre cinéma de fiction sera grandement enrichi par des visions de cinéastes issus des communautés culturelles et autochtones. Ils ont beaucoup de choses à raconter sur le Québec.»

Photo fournie par Métropole Films

Rebelle de Kim Nguyen