Le timing, comme on dit, ne pouvait être meilleur. La comédie politique de Philippe Falardeau, Guibord s'en va-t-en guerre, nous arrive en effet à quelques semaines des prochaines élections fédérales, avec en prime un personnage rappelant vaguement le premier ministre Stephen Harper...

« Ç'aurait été dur de rater la campagne, la cible était longue, ironise le cinéaste en faisant référence à la durée de la campagne actuelle. La vérité est qu'en 2010, quand j'ai commencé à travailler sur le scénario, je n'avais absolument pas une campagne électorale dans la tête. La preuve, c'est que le film n'aborde pas du tout cet aspect-là », dit Falardeau, qui signe son premier scénario original depuis Congorama.

Guibord s'en va-t-en guerre met en scène un député fédéral indépendant de l'Abitibi, Steve Guibord (Patrick Huard), élu dans la circonscription fictive de Prescott - Makadewà - Rapides-aux-Outardes. Par un improbable concours de circonstances, le député de l'arrière-ban se retrouvera sous les feux des projecteurs. Les membres du Parlement étant divisés, son vote sur l'envoi de troupes canadiennes en terrain de guerre s'avérera décisif.

L'idée de départ de ce film vient du cinéaste André Turpin, qui a mis Philippe Falardeau sur la piste.

« La prémisse était forte, mais elle comportait le piège de quelque chose de circulaire », détaille Philippe Falardeau.

« Il me fallait une autre idée, qui m'est venue en mettant en scène un observateur du Sud. Nous qui envoyons nos observateurs du Nord superviser les élections dans les pays du Sud, je me suis dit : "pourquoi on ne ferait pas l'inverse ?" ! »

C'est ainsi qu'est né le personnage de Souverain Pascal, jeune stagiaire haïtien, qui deviendra l'attaché politique de Steve Guibord, l'aidant à résoudre, comme il dit, son « dilemme cornélien ». Le jeune homme candide et idéaliste (interprété par Irdens Exantus, véritable révélation du film), qui cite volontiers Jean-Jacques Rousseau et Montesquieu, apprendra aux côtés de Guibord les rouages du système politique canadien.

Patrick Huard, qui a formé un duo efficace avec Colm Feore dans Bon Cop, Bad Cop, forme ici un tandem très intéressant avec Irdens Exantus. « C'est un buddy movie, acquiesce l'acteur qui scénarise en ce moment la suite de Bon Cop, Bad Cop. On se nourrit mutuellement dans un duo. Irdens avait une écoute extraordinaire. Il restait toujours dans son personnage et il a vite compris la rythmique de l'humour. »

Improbable, mais pas impossible

Dans Guibord, il est question de « balance du pouvoir » et de « vote prépondérant », mais n'allez pas croire qu'il s'agit d'un film politique aride. Au contraire, tout en soulevant des questions essentielles sur le paradoxe du politicien, Falardeau propose une comédie somme toute légère, la première depuis , de Robert Lepage, avec de nombreux retournements de situation très amusants. Improbables, certes, mais jamais impossibles.

Le personnage de Patrick Huard, très engagé vis-à-vis de sa communauté, est loin d'être un politicien véreux. C'est tout l'intérêt de l'histoire. L'ex-joueur de hockey devenu député est tout ce qu'il y a de plus humain et sincère. Seulement voilà, il est dépassé par les événements. Il devra aussi composer avec sa femme (Suzanne Clément), qui est favorable à la guerre, et sa fille, qui s'y oppose...

« On ne considère la politique que sous l'angle du pouvoir. Mais il faut voir le documentaire de Manuel Foglia, Chers électeurs, qui a suivi Charlotte L'Écuyer et Daniel Turp pendant 18 mois, rappelle Philippe Falardeau, lui-même diplômé en science politique. Ils travaillent fort, ils font du millage et ils sont pris entre toutes sortes d'intérêts contradictoires. »

« Guibord va quand même réussir à accomplir des choses, nous dit Patrick Huard, ne serait-ce qu'en rapprochant les parties en conflit. C'est ce que j'aime de ce film, tous les différents lobbies sont bien intentionnés. Les camionneurs, les mineurs, les autochtones, même le maire, qui est un petit ratoureux, il veut que ça marche, sa ville, il veut que les gens travaillent. »

Malgré toutes les bonnes intentions de ses personnages, Philippe Falardeau estime que le paradoxe du politicien est loin d'être résolu.

« On devient cynique vis-à-vis de nos politiciens, mais on ne se rend pas compte qu'on participe à ce cynisme, croit-il. Un politicien qui décide de gouverner à long terme pour le bien commun, sans se soucier des résultats immédiats, va souffrir parce qu'il va prendre des décisions impopulaires. On va le faire payer. À l'inverse, si un député ne répond qu'à des intérêts particuliers, on va lui reprocher de ne pas considérer l'intérêt général... »

Plateau abitibien

Le tournage a eu lieu à Val-d'Or, Philippe Falardeau souhaitant aborder trois enjeux d'actualité régionale : les mineurs, les forêts et les autochtones. 

« Je trouvais qu'il y avait là des tiraillements intéressants. Du coup, j'avais un road movie qui se passait en grande partie à l'extérieur. Les plans aériens nous montrent aussi la vastitude de notre territoire et l'éloignement des régions avec le pouvoir à Ottawa... », dit Philippe Falardeau.

Les acteurs interrogés parlent tous de ce tournage comme l'un des plus beaux de leur vie. C'est le cas de Patrick Huard. Mais pourquoi ? « D'abord par la présence de Philippe, répond l'acteur. C'est un véritable cinéaste, dans le sens où il a une vision, une signature, un engagement personnel. Il s'est vraiment approprié le sujet. Et puis, j'étais aussi entouré des meilleurs acteurs. Des gens passionnés, ouverts, engagés, cool... »

De son propre aveu, c'est grâce à Stéphane Lafleur que Falardeau a réussi à faire de Guibord une comédie. « Il m'a aidé à la scénarisation du film, confie le réalisateur. Il a compris que je voulais faire une comédie, mais il m'a fait réaliser que j'étais face à des portes que je n'ouvrais pas. En même temps, il ne fallait pas non plus basculer à l'autre extrême pour ne pas disqualifier le propos. Il ne fallait pas aller trop loin. »

« Au final, le film est pessimiste sur le plan politique et optimiste sur le plan humain, analyse Philippe Falardeau. Parce qu'au final, ce qui est important, c'est que la famille est intacte et l'amitié est durable. Le vrai tour de force était d'établir une amitié naturelle entre Guibord et Souverain Pascal. »

En observant son personnage et celui de Souverain, Patrick Huard en est arrivé à une évidence : « Guibord et Souverain, c'est la même personne. C'est Philippe Falardeau, conclut-il. Mon regard à moi, c'est le côté terre à terre de Philippe. Le gars qui jase avec le monde. Le regard de Souverain est celui de Philippe sur le monde parce qu'il voyage beaucoup et qu'il a un regard d'étranger sur les autres et sur son propre pays. »

Guibord s'en va-t-en guerre prend l'affiche le 2 octobre.

L'entourage de Steve Guibord

Suzanne Clément (Suzanne)

Suzanne Clément, qui joue le rôle de la femme de Guibord et qui a déjà travaillé avec Philippe Falardeau dans C'est pas moi, je le jure! , était emballée à l'idée de donner la réplique à Patrick Huard. «Ça fait longtemps que je veux travailler avec lui, a-t-elle confié à La Presse. J'aime les gens comme lui qui font beaucoup de choses en même temps, qui osent. Et puis, je trouve qu'en ce moment, il a une belle maturité comme acteur.»

Clémence Dufresne-Deslières (Lune)

Autre révélation de ce film avec Irdens Exantus, Clémence Dufresne-Deslières joue le rôle de Lune, unique fille de Steve Guibord. Le cinéaste Philippe Falardeau estime qu'elle est «la meilleure actrice de sa génération». Rien de moins. La jeune femme diplômée en art dramatique du cégep de Saint-Laurent a joué dans le film Avant que mon coeur bascule de Sébastien Rose et Ressac de Pascale Ferland.

Paul Doucet (premier ministre)

Paul Doucet, que l'on a vu entre autres dans Les trois p'tits cochons et Funkytown (avec Patrick Huard), fait une personnification hilarante du premier ministre Stephen Harper. «J'ai découvert un comédien extraordinaire, nous dit Philippe Falardeau. Il a une retenue et un décorum formidables. Son imitation de Harper a fait un tabac à Toronto. J'avais peur de la réaction des gens, mais ils ont adoré.»

Sonia Cordeau (Stéphanie Caron-Lavallée)

La comédienne, découverte au théâtre dans le Projet Bocal avec Simon Lacroix et Raphaëlle Lalande ainsi que dans la série télé Les appendices, incarne une journaliste locale qui couvre les événements. «Oui, elle joue de manière un peu caricaturale, dit Philippe Falardeau, mais elle m'a fait tellement rire, que je me suis dit: je vais me payer ça! À la fin, elle est tellement fière d'avoir réussi à plaire au gars qu'elle essaie de coincer...»

Trois films marquants

Philippe Falardeau, qui est diplômé en science politique et titulaire d'une maîtrise en relations internationales, a un intérêt naturel pour les films «politiques». En voici trois qui l'ont particulièrement marqué.

Frost/Nixon

Le film réalisé par Ron Howard en 2008 est construit sur des interviews accordées par le président américain Richard Nixon au journaliste David Frost. «Ce ne sont que des dialogues et le réalisateur crée une tension du début à la fin et nous permet de rentrer dans l'intimité de celui qu'on a aimé haïr aux États-Unis.»

Wag the Dog

Le film de Barry Levinson, avec Dustin Hoffman et Robert De Niro, met en scène un candidat à la Maison-Blanche éclaboussé par un scandale sexuel, qui inventera avec ses conseillers une guerre en Albanie afin de détourner l'attention des électeurs. «Pour moi, c'est un prototype de la satire politique anglo-saxonne qui fonctionne très bien.»

Enquête d'un citoyen au-dessus de tout soupçon

Ce film italien réalisé par Elio Petri raconte l'histoire d'un chef de police qui assassine sa maîtresse tout en laissant sur place des indices qui l'incriminent. «Il veut voir si ses collègues vont l'inculper ou si, à cause de son statut, il est au-dessus de tout soupçon. C'est un chef-d'oeuvre. Sur le plan formel, il y a un humour très noir. Il n'y a pas de gags dans ce film.»

Irdens Exantus: un film en couleur !

Souvenez-vous de son nom: Irdens Exantus. Le jeune homme de 21 ans en est à sa première expérience professionnelle, mais vous le verrez assurément dans votre petit ou grand écran. C'est lui qui interprète Souverain Pascal, jeune stagiaire haïtien un peu idéaliste, qui deviendra l'attaché politique de Steve Guibord.

Pour composer ce rôle de stagiaire, Irdens Exantus avoue s'être inspiré de son statut de «jeune premier» dans le monde du cinéma. «Il y a beaucoup de ressemblances entre Souverain et moi, commence-t-il par dire. J'avais le même enthousiasme que Souverain qui découvre la politique canadienne. Moi aussi, je découvrais les plateaux de tournage!»

Le jeune acteur autodidacte, qui joue également du saxophone, a adoré son expérience. «C'était magique, laisse-t-il tomber. Pour moi, c'était un premier contact avec le monde du cinéma, et j'ai beaucoup appris. Grâce à Philippe, à Patrick et à ma coach Félixe Ross, qui m'ont vraiment aidé à trouver un équilibre dans mon jeu.»

Philippe Falardeau, qui a tourné une partie du film en Haïti, a toujours travaillé avec des acteurs issus de l'immigration.

«Je ne me lève pas en me disant: je vais embaucher une minorité, mais ça arrive tout le temps. Ça fait partie de ma vie. J'étais le minoritaire en voyage durant ma course en Afrique, au Moyen-Orient. Donc de retour ici, quand je vois quelqu'un qui n'a pas la même couleur de peau que moi, je sais ce qu'il vit et je m'intéresse à lui.»

Si les rencontres avec les médias l'ont intimidé à Locarno, lors de la première mondiale, Irdens Exantus dit aujourd'hui y prendre goût! Les acteurs qui l'inspirent sont américains: Will Smith, qui a réussi à combiner jeu et musique, et Denzel Washington, qui est pour lui un modèle: «Je l'admire tellement! Il a un charisme phénoménal!»