Elle a mené à bout de bras la lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud. Mais son personnage reste controversé. Était-il trop tôt pour faire un «biopic» sur Winnie Mandela?

Le moins qu'on puisse dire, c'est que le buzz n'est pas très favorable autour du film Winnie, qui prend l'affiche vendredi prochain à Montréal.

Présenté au Festival de Toronto l'an dernier en version inachevée, le long métrage du Sud-Africain Darrell J. Roodt a été critiqué pour son excès de romantisme. Certains ont reproché aux producteurs d'avoir embauché des acteurs américains (Terrence Howard et Jennifer Hudson) pour incarner Nelson et Winnie Mandela. Comme si ce n'était pas assez, la principale intéressée a publiquement désavoué le film, vexée de ne pas avoir été consultée pour son propre «biopic».

Darrell J. Roodt (Sarafina) avoue que son film aurait pu jouir d'une meilleure publicité. Mais il assume. «J'ai fait le film que je voulais faire, dit-il. Si certains voulaient un autre film, qu'ils aillent le faire eux-mêmes!»

Ce film, c'est l'histoire des Mandela et, par extension, celle de la lutte des Noirs en Afrique du Sud. Des années 60 au début des années 90, ce couple de militants a été le symbole de la lutte contre l'apartheid. Lui, de sa prison, où il a croupi pendant 27 ans. Elle, dans la rue où, sans relâche, elle a exigé la libération de son mari et de son peuple. Sa persévérance portera ses fruits, mais à quel prix. Condamnée pour exactions, Winnie Mandela sera écartée du pouvoir au moment où il était à portée de main.

Scénario prudent

Darrell J. Roodt savait qu'il s'attaquait à un sujet délicat. Les cicatrices de l'apartheid sont loin d'être refermées et Winnie Mandela, toujours bien vivante, reste un personnage controversé en Afrique du Sud (voir encadré). Cela explique en partie la prudence du scénario, qui insiste surtout sur la longue histoire d'amour des Mandela. En traitant Winnie sous un jour plus «humain», voire romantique, le cinéaste évitait de s'enfoncer dans ce qu'il appelle lui-même un «terrain politiquement miné».

«Si quelqu'un voulait un documentaire sur le fonctionnement du Congrès national africain [parti de Mandela], il sera déçu. Nous avons fait un film sur le combat d'une femme pour la libération de son mari et, par extension, de l'Afrique du Sud. C'est un film grand public, pas un film pour deux ou trois connaisseurs», explique Roodt (qui fut, soit dit en passant, un des premiers Blancs à faire des films antiapartheid dans les années 80).

Ce parti pris populaire explique la présence de l'Américaine Jennifer Hudson dans le rôle-titre, choix dont s'est plaint le syndicat des acteurs sud-africains, qui aurait souhaité un comédien «du cru». Mais voilà: produit conjointement par le Canada et l'Afrique, Winnie ne cache pas des ambitions internationales; en ce sens, l'ancienne finaliste d'American Idol semblait un choix plus approprié. Comme l'explique Michael Mosca, de la boîte montréalaise Equinoxe: «Ça prend une vedette si vous voulez que l'histoire sorte de votre pays.»

Le producteur souligne que l'équipe était en majorité sud-africaine, exception faite de la photographie (Mario Jannelle) et de la postproduction, faite au Québec. Pour le détail, Equinoxe a mis 15 millions de dollars dans cette aventure africaine, soit environ le quart du budget total.

Et Madame Winnie?

La question qui tue: aurait-il fallu mettre Winnie Mandela dans le coup? Darrell J. Roodt avoue que cela aurait grandement «facilité le voyage». Mais, pour des raisons de liberté éditoriale, les producteurs sud-africains ont préféré garder leurs distances.

«Sur le coup, je n'étais pas trop d'accord, souligne le réalisateur. Mais je pense qu'ils avaient raison. L'idée était de donner un point de vue sur cette histoire et pas nécessairement le sien. En gardant notre marge de manoeuvre, on a pu aborder des épisodes de sa vie qu'elle aurait sans doute préféré taire. Cela dit, j'espère qu'elle appréciera ce que j'essaie de dire sur elle et sa contribution à notre histoire.»

De ce côté, on peut dire que c'est mal parti. Même si elle n'a apparemment pas vu le film, Mme Mandela ne manque pas une occasion de le démolir sur la place publique, se disant notamment insultée qu'on ait transformé cette tragique histoire en bluette sentimentale.

Roodt est en désaccord avec elle sur ce point. «Cette femme s'est battue pendant les 27 ans que son mari a passés en prison. Si ce n'est pas l'histoire d'amour ultime, je me demande bien ce que c'est!»

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Où en est Willie Mandela?

On la surnommait «la mère de la nation». Mais aujourd'hui, Winnie Mandela divise l'Afrique du Sud. Héroïne populaire, elle a certes porté le flambeau de la lutte contre l'apartheid pendant que son mari était en prison. Mais après, son étoile a pâli.

En 1988, elle a été accusée d'avoir autorisé le kidnapping d'un garçon de 14 ans, assassiné par la suite par les membres de son «club de football», en réalité ses gardes du corps. En 1994, elle a fait partie du premier gouvernement du Congrès national africain (ANC) de Nelson Mandela, mais a dû démissionner 11 mois plus tard sur la foi d'allégations de corruption et d'exactions. Politiquement marquée, elle a dû renoncer aux hauts échelons du parti... de même qu'à son mari, qui a divorcé d'elle en 1996.

Elle vit depuis une histoire de hauts et de bas. Naviguant entre le parlement et les tribunaux (elle a été accusée de fraude en 2003), Winnie Mandela poursuit son étrange carrière politique au sein de l'ANC, où elle multiplie controverses et déclarations incendiaires. Depuis quelques mois, elle soutient notamment le jeune politicien Julius Malema, un radical qui vient d'être expulsé du parti.

«C'est une femme complexe, laisse entendre Darrell J. Roodt, qui a souvent croisé Mme Mandela dans les années 80, quand il réalisait des films contre l'apartheid (Stick). Je crois qu'elle est amère d'avoir été écartée du pouvoir à un moment crucial de l'histoire du pays. Beaucoup de gens l'aiment encore. Mais il n'y a pas de rédemption. Il y aura toujours une grosse marque noire sur son nom.»

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Un autre film sur Jackie Robinson

Décidément, Jackie Robinson a la cote. Après un «biopic» hollywoodien et un film canadien sur son passage à Montréal, le premier joueur noir du baseball professionnel fera l'objet d'un documentaire signé Ken Burns et Sarah Burns. «On raconte son histoire dans la perspective du mouvement pour les droits des Noirs aux États-Unis, explique la réalisatrice Sarah Burns. Il était très conscient d'avoir brisé un tabou et ne se gênait pas pour exprimer ses convictions.» Symbole de la lutte des Afro-Américains, Jackie Robinson a joué pour les Royaux de Montréal en 1946 avant de «franchir la ligne» avec les Dodgers de Brooklyn en 1946. Passionné par la culture noire, Ken Burns est bien connu pour ses excellents documentaires sur l'histoire du jazz et du baseball. Il vient en outre de réaliser The Central Park Five avec sa fille Sarah, qui sera présenté demain soir au Festival du film black de Montréal. Leur documentaire sur Jackie Robinson est prévu pour 2015.