L’animation image par image (stop-motion) existe depuis aussi longtemps que le cinéma. Utilisée au départ pour réaliser des effets spéciaux, cette technique mêle aujourd’hui artisanat à technologie de pointe. À l’occasion du tournage de ParaNorman, visite guidée d’un studio qui y consacre toutes ses énergies créatrices: Laika.



L’animation image par image (stop-motion) est la cousine germaine de l’animation traditionnelle. Alors que cette dernière utilise des dessins filmés les uns après les autres qui, projetés au rythme de 24 images/seconde, simulent le mouvement, la première emprunte le même principe, mais avec des objets. Utilisée dès les débuts du cinéma pour réaliser des effets spéciaux, elle a été employée dans des courts métrages, en publicité, dans des séries télévisées (Gumby, Le manège enchanté, Wallace & Gromit) et, au cinéma, a connu un premier véritable succès auprès du grand public en 1993 grâce à The Nightmare Before Christmas d’Henry Selick.

Depuis, les Chicken Run, James and the Giant Peach, Wallace & Gromit: The Curse of the Were-Rabbit, Corpse Bride, Fantastic Mr. Fox et autres Coraline ont fait gagner ses lettres de noblesse cinématograhiques au stop-motion… dont le fruit demeure quand même marginal en nombre de sorties annuelles. Or, fait exceptionnel, quatre films réalisés en animation image par image prendront d’assaut les écrans nord-américains en 2012. The Pirates! Band of Misfits a déjà pris l’affiche. Frankenweenie de Tim Burton est très attendu en octobre. Entre les deux, cet été, nous arriveront le film tchèque Toys in the Attic; et ParaNorman de Chris Butler et Sam Fell – lui, réalisé dans le studio Laika qui, en 2009, nous a donné Coraline.

Chris Butler, qui agissait comme directeur de l’histoire sur ce film inspiré du roman de Neil Gaiman, couvait une idée de son propre cru: «Une histoire de zombies pour enfants, un mélange de The Goonies, Ghost Busters et Scooby-Doo. Une rencontre entre John Carpenter et John Hughes, dans laquelle on suit un garçon, Norman, qui voit les morts… et n’a pas de problème avec ça: nous ne sommes pas dans The Sixth Sense», résumait-il lors d’une visite de Laika tenue cet hiver.

Travis Knight, animateur de génie et président du studio dont le but est de produire, à partir de 2015, un film en animation image par image chaque année, a donné le feu vert au projet que, bien sûr, Chris Butler a pensé pour le stop-motion. «Cette technique possède une chaleur, une âme et une belle imperfection que l’animation en images de synthèse n’a pas», ajoute Sam Fell, qui s’est joint à l’équipe en 2009. Trois ans et demi plus tard, ParaNorman est en boîte, en 3D et en beauté – selon , les 20 minutes que La Presse a pu visionner après avoir suivi, pendant une journée, ce parcours du combattant qu’est celui qui mène à la production de tels films.

Visite guidée dans ces coulisses fascinantes et mystérieuses.

1. Faits main



Les réalisateurs de ParaNorman ont discuté du style visuel du film pendant six mois. «Nous voulions parvenir à un naturalisme asymétrique, quelque chose qui, à première vue, semble réaliste, mais dès qu’on s’y attarde, semble bizarre», explique Chris Butler. L’esthétique de l’artiste Heidi Smith, son trait nerveux, ses silhouettes bizarres collaient à leur vision. L’illustratrice s’est donc mise à l’ouvrage et a créé le design des personnages, à sa façon, c’est-à-dire de manière artisanale: papier et crayons, ce qui n’est plus si commun en cette ère des tablettes graphiques; mais qui donne une nervosité et une spontanéité au résultat. «Nous voulions cela, même si nous savions que cela représenterait tout un défi pour nous que de créer des marionnettes aux silhouettes parfois disproportionnées qui puissent tenir en équilibre peu importe la posture», souligne ici Georgina Hayns, superviseure de la fabrication des marionnettes qui forment la distribution de ParaNorman.

Devant elle, une table sur laquelle se trouvent lesdites marionnettes, dont chaque articulation, jusqu’à la moindre phalange, peut exécuter le plus fin des mouvements grâce à l’armature de métal qui se trouve à l’intérieur. Soixante personnes ont travaillé pendant quatre mois à leur fabrication. Au total, 178 figurines afin d’incarner les 35 personnages principaux. Vingt-huit d’entre elles (certaines, de tailles différentes pour les prises de vue éloignées ou pour les gros plans) ont été utilisées dans le cas de Norman – dont la tête est formée de 70 morceaux et l’armature, de 80.

Des chimistes et des coiffeurs en passant par des horlogers, des ingénieurs, des couturiers, des sculpteurs, etc. ont uni leur talent pour produire ces marionnettes sophistiquées qui peuvent, véritablement, livrer une performance d’acteur. Celle-ci, formidablement améliorée grâce à une technologie de pointe, l’impression 3D.

2. De 800 têtes à 1,5 million d’expressions

L’un des grands défis de l’animation image par image est de donner de l’expressivité aux marionnettes: si les armatures permettent les mouvements, la seule manipulation des visages ne permet pas de reproduire toute la gamme des expressions humaines. Les figurines sont donc munies de têtes ou de visages amovibles, que les animateurs remplacent au besoin.

Dans le cas de Jack, dans The Nightmare Before Christmas, on parle de 800 têtes sculptées et peintes à la main. De tels remplacements, de même que des techniques «mécaniques», sont aussi utilisés dans ParaNorman: les mâchoires des zombies, par exemple, peuvent s’écarter grâce à un microsystème de vis, leur «peau» de silicone ayant assez d’élasticité pour suivre le mouvement.

«Mais avec Coraline, Laika a fait entrer le stop-motion dans le 21e siècle en combinant l’image de synthèse et l’impression 3D», indique Brian McLean, directeur du département RPP (Rapid Prototype Printing). Ainsi, des animateurs 3D modélisent les visages des personnages et leur créent à l’ordinateur toutes les expressions nécessaires en se basant sur les dialogues enregistrés par les acteurs et les émotions véhiculées par le scénario. Le résultat est ensuite envoyé à une imprimante 3D de laquelle émergent physiquement les visages (parfois divisés en plusieurs pièces) qui seront placés sur les marionnettes.

La chose est difficile à croire, même après l’avoir vue de ses yeux vu.

Dans le cas de Coraline, l’imprimante utilisait une résine liquide appliquée couche après couche, chacune ayant le quart de l’épaisseur d’un cheveu, des centaines et des centaines de fois, jusqu’à l’obtention, par accumulation, d’un visage ou de morceaux de visages affichant l’expression voulue. Le tout, ayant un fini brillant d’apparence plastique devant par la suite être peint.

«C’était extrêmement long, se souvient Georgina Hayns. Imaginez, Coraline a cinq grains de beauté sur chaque joue, qui devaient être placés exactement au même endroit sur tous ses visages. Dans ParaNorman, nous avons un personnage roux qui a des milliers de taches de rousseur!»

Il aurait été impossible de voir ça dans Coraline, mais ça n’a pas été un problème pour ParaNorman parce que l’une des imprimantes utilisées imprime en couleurs à partir d’une poudre de silicone pressée, sculptée et transformée en visages – lesquels ont un fini mat s’apparentant plus à celui du reste de la tête des marionnettes auxquelles ils seront fixés.

Ces visages expriment la surprise, la peur, la colère. Et bien plus. Lorsqu’un personnage bouge rapidement, en animation classique, l’animateur va dessiner une face ayant quatre yeux et deux nez, par exemple. La même chose a été faite grâce à l’imprimante. Ou encore, pour cette scène où le monumental oncle de Norman tombe sur le garçon, un visage double, l’un écrasant l’autre, est même sorti de la machine révolutionnaire.

Ainsi, grâce à l’évolution de la technologie, Coraline pouvait s’exprimer au moyen de 200 000 expressions. Pour ParaNorman, la production a créé un total de 31 000 pièces de visage, dont 8000 pour le seul Norman qui, combinées, lui permettent d’afficher 1,5 million d’expressions faciales. «Simplement pour la scène où il se brosse les dents, nous avons utilisé 150 visages», note Brian McLean.

Et l’on s’y retrouve comment dans ces visages et morceaux de visages? Toutes les pièces sont codées et placées dans une «bibliothèque» de faces. Au moment de commencer une scène, les animateurs commandent celles dont ils auront besoin. Ce n’est là que le début de leur travail…

3. Tournage à vitesse petit «

Le couloir est très large. De part et d’autre, de lourdes tentures noires. Derrière, 52 miniplateaux de tournage. Enfin, pas tous si mini: chacun abrite l’un des décors de ParaNorman et les plus volumineux, l’extérieur de l’école du village par exemple, fait deux mètres de hauteur sur huit mètres de largeur; et la rue où vit Norman, 20 mètres de longueur. Au total, 75 plateaux ont été installés derrière ces rideaux, représentant 35 lieux sous différents angles, dimensions et éclairages – la place centrale, par exemple, existe en versions nocturne et diurne.

Le tout a été construit après que les réalisateurs Chris Butler et Sam Fell, en compagnie du directeur artistique Nelson Lowry, aient été faire du repérage en Nouvelle-Angleterre pour s’inspirer de Salem et d’autres villages au passé mouvementé afin d’en rapporter des photos qui ont été modifiées façon Heidi Smith, afin de coller au design des personnages. Même chose pour la végétation (1500 arbres ont été fabriqués à la main) et tous les éléments «peuplant» ces décors – voitures, bornes fontaine, parcomètres, vélos, etc. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs été «imprimés» en 3D pour ensuite être peints.

Derrière ces rideaux, les animateurs se sont isolés pendant les 52 semaines qu’a duré le tournage. Passant des heures et des heures à genoux ou assis sur le sol, en seule compagnie de marionnettes et d’une caméra. Leur travail, grosso modo, s’effectue en plusieurs étapes: se basant sur le story-board qui leur est remis. Ils se filment eux-mêmes, exécutant la scène; le résultat est examiné par les réalisateurs, des notes sont données et à partir de là, les animateurs répètent la scène avec les marionnettes puis la filment, mais au rythme de 12 images/seconde; nouvel examen, nouvelles notes et, enfin, tournage qui devrait être final.

Entre chacune des 24 images nécessaires à une seconde de film, l’animateur manipule ses personnages – plus l’action est rapide, plus le déplacement est «important». Et, comme ParaNorman est réalisé en 3D, la caméra préprogrammée par ordinateur prend un cliché «œil droit» puis «œil gauche». À ce rythme, un animateur tourne entre 5 et 8 secondes de pellicule par semaine – selon le nombre de personnages à animer dans la scène… mais aussi, les objets qui entourent les personnages. Les arbres que le vent secoue, les pierres qui «revolent» dans les airs lorsque les zombies émergent du sol, etc.

Autant de «mouvements» possibles grâce à l’équipe d’Oliver Jones dont la mission est de pourvoir les accessoires – et, parfois, les marionnettes – de supports flexibles permettant de les manipuler: «Lorsque la camionnette roule à toute vitesse sur le chemin, on doit sentir les chaos qui la secouent. Quand Norman court et saute, il faut pouvoir donner une impression d’envol», explique celui dont le travail est, par la suite, effacé en postproduction. Comme le sont les lignes de démarcation entre les têtes des personnages et leurs visages amovibles. C’est ici qu’entre en jeu Brian Van’t Hull, superviseur des effets visuels qui a travaillé sur The Lord of the Rings et King Kong mais aussi sur Coraline: «Notre travail est un peu ingrat, s’amuse-t-il, parce que la moitié des choses que nous faisons, mon équipe est moi, est réussie si personne ne se rend compte que nous sommes passés par là.»

Sauf que ce travail-là participe à la magie du stop-motion. «Objets inanimés avez-vous donc une âme?», demandait Lamartine dans son beau poème. Les 350 personnes qui ont œuvré pendant trois ans et demi sur ParaNorman savent que oui. Et le prouvent.

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Les frais de voyage ont été payés par Alliance Vivafilm. ParaNorman (ParaNorman) prend l’affiche le 17 août.