Les Kardashian seraient-ils en train de devenir les Médicis d'aujourd'hui? C'est la théorie qu'avance, avec une pointe d'humour, l'humoriste Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques. La Presse a demandé à la vedette de Like-moi! d'expliquer sa fascination pour la téléréalité qui fête son dixième anniversaire. Dans ses mots.

Ma première rencontre avec la famille Kardashian s'est faite de manière tout à fait fortuite, bien que quelque peu influencée par l'algorithme à l'efficacité souvent discutable d'iTunes. Assailli par une grippe préautomnale, j'ai décidé que c'était le bon moment pour moi de regarder Big Little Lies. J'ai clairement surévalué ma capacité à suivre l'intrigue de la série de Jean-Marc Vallée dans mon état. De manière quasi providentielle, Apple a décidé de mettre sur ma route Life of Kylie, la téléréalité qui sera ma porte d'entrée dans le fascinant monde de la famille Kardashian, dans lequel j'ai été aspiré.

Une chose en entraînant une autre, j'ai décidé de revenir à la source en regardant les premiers épisodes de Keeping up with the Kardashians pour mieux comprendre la vie de la jeune Kylie Jenner qui évolue sous le regard des caméras depuis son enfance et dont le quotidien s'avère très révélateur de notre génération: on y suit une jeune femme riche qui vit sous pression, réalise mille et une choses, mais en même temps... absolument rien ! En revenant ainsi 10 ans plus tôt, je pouvais aussi scruter à la loupe les signes avant-coureurs de la transformation de Bruce en Caitlyn Jenner.

Engrais ultime de l'ère du vide, je ne me résous quand même pas à considérer Keeping up with the Kardashians comme un simple freak show. Bien que les Kardashian ne soient pas à la veille de lancer Amnistie internationale 2, ils prennent position sur des problématiques importantes dans la société, comme la diversité corporelle et l'acceptation de soi.

J'exagère bien sûr un peu en les comparant aux Médicis, qui ont fait des choses beaucoup plus nobles pour leur époque, comme lancer la Renaissance, mettre au monde Donatello, Raphaël ou encore créer Florence.

Disons que c'est pas mal plus noble que de créer une gamme de maquillage ou un jeu pour téléphone mobile! Mais il est indéniable que les membres de la famille Kardashian ont exploité à fond les outils qui leur étaient offerts à notre époque, lancé des vagues et des modes. Je suis certain que l'histoire de Caitlyn Jenner a ouvert les yeux à beaucoup de gens. Elle était un symbole de virilité, admiré par tous en tant que champion olympique, et ça a sans doute mis au défi la perception de nombreux Américains enfermés dans leurs préjugés sur les transgenres. Je me permets naïvement de croire que ça a permis de faire évoluer la question.

Alors que nous vivions en plein culte de l'image, les Kardashian nourrissent la culture pop et la culture pop se nourrit d'eux. Et je suis persuadé qu'on les étudiera un jour comme de grandes dynasties.

Ils ont tout des grandes familles qu'on retrouve dans les tragédies grecques: le père, figure mythologique, sorte d'Achille qui est en fait une femme, des guerres intestines nourries par des personnages comme Scott Disick (que je n'aime absolument pas) qui a tout d'un personnage de Shakespeare, un Shylock dans Le marchand de Venise, un opportuniste qui profite de tout ce qui passe, qui se colle au pouvoir. Il y a comme quelque chose de Richard III chez Scott!

J'adore la mère, Kris Jenner, une sorte de deus ex machina qui dirige toutes ses filles, un mélange de Catherine la Grande et de Christine de Suède. J'aurais un peu peur de la mettre en colère, disons...

Il y a aussi Kylie la flamboyante. Chaque personnage est un véritable archétype théâtral tragique! 

Comme les grandes dynasties, les Kardashian ont une influence sur leur entourage et sur la culture pop. Kanye West, conjoint de Kim Kardashian, fait des oeuvres d'art musicales formidables et j'adore ses souliers. Il est en froid avec Jay Z dont il n'a pas aimé la réaction à la suite du vol de bijoux de Kim à Paris. Ils ne collaborent donc plus ensemble alors qu'ils ont fait de super choses tous les deux, comme Watch The Throne

Kris Jenner s'est quant à elle associée à Puff Daddy en tant que productrice. Il s'agit de personnes respectées dans l'industrie musicale et leurs associations ne sont pas anodines. Peut-être qu'une nouvelle chapelle Sixtine va émaner un jour de tout ça. Les Kardashian devraient utiliser leur richesse pour faire quelque chose de grandiose. Mais j'en doute...

J'en suis encore à l'étape de la fascination pour cette famille, mais ça reste un plaisir coupable que je regarde le soir avant de dormir. Je sais que ce n'est pas bon pour moi et, en ce moment, je travaille très fort pour me convaincre qu'il y a une certaine valeur là-dedans. Mais la vérité, c'est que je n'en vois pas tant que ça! 

Quelle sera la prochaine étape? On a filmé la naissance de bébés que les caméras ont vus avant leur propre mère. Mettons que Kris a un cancer en phase terminale, va-t-on assister à sa mort? La famille capitalise sur elle-même et nous, on rit d'elle. Mais elle est devenue ultramillionnaire grâce à nous. J'y ai moi-même contribué en dépensant plus de 150 $ sur iTunes. Alors, qui se moque de qui, finalement? 

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Propos recueillis et condensés par Stéphanie Vallet

Photo tirée de l’internet

Un portrait de la famille Médicis de Cornelis De Vos