Dans Mirador, la BMW conduite par Richard Racine - personnage incarné par Gilles Renaud - appartient en fait... à un technicien qui travaillait sur le plateau de tournage de l'émission.

Voilà un exemple frappant du manque de ressources financières qui, à long terme, pourrait bien mener à l'exode des réalisateurs québécois, condamnés pour le moment à travailler avec des budgets restreints.

La limite vient d'être atteinte, lance sans détour le réalisateur de Mirador, Louis Choquette, rencontré la semaine dernière à Paris dans le cadre de Vitrine TV Québec, qui donne l'occasion aux artisans d'ici de vendre leurs séries à l'étranger.

«Il y a un moment où le talent n'a plus de place pour s'exprimer parce qu'on manque de sous, lance-t-il sans détour. Moi, je peux dire que je ne suis pas à mon meilleur dans ce contexte-là, admet-il du même souffle. Dans Mirador, j'aurais pu être meilleur.»

Pour illustrer la diminution des budgets offerts, Louis Choquette rappelle que, en 2003, pour Les aventures tumultueuses de Jack Carter, il disposait d'environ 900 000 $ par émission. Près de six ans plus tard, pour Mirador, l'enveloppe est passée à 710 000 $ l'épisode.

Manque de véhicules, diminution des journées de tournage, dépassement de coûts, le problème du sous-financement des productions télévisuelles, dont les budgets ont connu une diminution allant de 20 % à 30 % en cinq ans, revient régulièrement sur le tapis.

Louis Choquette va toutefois plus loin. Plutôt que de s'acharner à essayer de faire des miracles, plusieurs réalisateurs québécois, qui reçoivent souvent des offres de l'étranger, pourraient décider de travailler ailleurs, là où ils auront plus de moyens, craint-il.

«C'est un danger, soutient-il. Mais on ne veut pas ça. Je trippe à venir travailler en France, mais je veux rester au Québec. Je veux continuer à travailler chez nous», tient à ajouter celui qui a réalisé Le gentleman, émission diffusée cet automne à TVA.

«Parfois, il y a des journées où je n'arrive pas à tourner des scènes que j'aurais dû faire, continue-t-il. Si dans ta démarche d'incarnation d'une histoire, tu le sais en partant que tu n'auras pas les moyens pour le faire, ça perd son sens.»

Les réalisateurs québécois ont visiblement bonne réputation en France et depuis quelques années, plusieurs d'entre eux sont sollicités pour aller travailler là-bas. Rappelons qu'en 2006, Yves Simoneau s'y est rendu pour réaliser la minisérie Marie-Antoinette. La même année, Louis Choquette a agi à titre de réalisateur pour Mafiosa, série portant sur le monde mafieux en Corse.

Le réalisateur Podz (Minuit, le soir) travaillerait également sur un nouveau projet dans l'Hexagone.

Par ailleurs, les producteurs français présents lors de Vitrine TV s'expliquaient mal comment les artisans québécois de la télé parvenaient à réaliser autant d'émissions de qualité avec si peu de ressources financières.

Préserver la réputation

Autre problème soulevé par le manque de fonds : en raison d'une possible diminution de la qualité, l'étoile des téléséries québécoises à l'étranger, particulièrement en France, va pâlir. Depuis quelques années, les producteurs et les distributeurs de l'Hexagone démontrent un réel intérêt pour les émissions d'ici.

Les invincibles et Les Bougon y ont été adaptées alors qu'une version doublée de C.A. sera diffusée. Or, cet engouement ne durera pas si les productions québécoises n'ont plus les moyens de présenter des concepts audacieux et originaux, croit Louis Choquette.

«C'est le moment d'éclore et c'est le moment où on se fait couper le plus, dit-il. Quand on va vouloir vendre à l'étranger, on va être directement comparés avec des shows américains ou britanniques. Et la télévision au Québec est en péril à cause de ça.»

La mise en place du Fonds des médias du Canada (qui remplacera en avril le Fonds canadien de télévision) n'a rien pour le rassurer. Plusieurs artisans de la télé craignent en effet que ce nouveaux fonds accorde une place prépondérante aux cotes d'écoute comme critère d'attribution des enveloppes.

«Je suis inquiet, admet-il. Si on commence à financer selon la performance, c'est sûr qu'il y a beaucoup de produits originaux qu'on ne pourra pas faire. Et ce sont souvent ces projets audacieux qui sont vendeurs à l'étranger.»