Les séries américaines ont attaqué de façon virulente l'administration Bush. Les plus récentes commencent à s'en prendre à Obama. Pourquoi les émissions québécoises n'ont-elles pas la même audace? La Presse a interrogé quatre auteurs d'ici sur la politique à la télé.

Frileuses et consensuelles, les séries télé québécoises? Sans doute, si on les compare à certaines émissions américaines. Mais avant de conclure à la censure, il vaudrait mieux se questionner sur la petite taille du marché québécois et ses maigres moyens de production. Peut-on se permettre de diviser l'auditoire?

Comment comparer des productions tournées ici - rapidement, dans le désordre et par de petites équipes - avec de grosses productions américaines où on tourne d'abord un pilote pour tester le marché, et où on ne compte pas un ou deux auteurs, mais souvent une dizaine? Sans compter qu'à moins d'écrire à la dernière minute, on risque fort d'avoir l'air décalé si on tente de coller à l'actualité politique...

Daniel Thibault: la censure et Harper

Dans leur nouvelle série Mirador, qui se déroule dans le monde des relations publiques (en janvier à Radio-Canada), Daniel Thibault et Isabelle Pelletier se sont permis quelques épisodes plus politiques. Un épisode porte sur la guerre (en Afghanistan?), alors qu'une photo met le gouvernement dans l'embarras. Un autre est inspiré de l'histoire du premier ministre hongrois enregistré à son insu alors qu'il admettait avoir menti à la population.

«Les difficultés économiques de la télé font que les décisions sont plus conservatrices», avance-t-il. Selon lui, le blâme du CRTC concernant le dernier Bye Bye, les compressions à Radio-Canada et les nouvelles règles du Fonds canadien de télévision - qui vont récompenser le succès d'auditoire - ont échaudé le milieu de la télévision. «Il suffirait d'un scandale à la suite d'un propos politique dans une émission quelconque pour créer une psychose suffisante pour qu'on se dise: «On ne parle plus de politique à la télé pendant un certain temps.»»

«Harper a une haine viscérale de la société d'État, des investissements du gouvernement dans la vie sociale. Si ce gouvernement-là obtient une majorité, la télé québécoise est extrêmement en danger. Déjà, ce qui a été installé nous met dans une situation précaire, estime Daniel Thibault. Les auteurs eux-mêmes vont avoir peur de soumettre des choses plus champ gauche (hors norme), parce c'est ce que le marché commande.»

«Le propos d'une télé publique, c'est justement de s'affranchir un peu de ces considérations et de faire des expériences qui ne seraient pas possibles autrement.

«Je n'en reviens pas qu'on en soit rendus là, à l'ère post-Bougon. Le dernier show qui a été un mégasuccès en télé québécoise, c'est ce show absolument torturé. On se serait attendus qu'à partir de ce moment-là, tout le monde essaye de pousser la machine. Mais c'est de moins en moins possible de penser que Les Bougon pourrait arriver en ondes aujourd'hui.»

Bernard Dansereau: débats de société en vue

Le nouveau projet de Bernard Dansereau et Annie Piérard, Toute la vérité, prévu cet hiver à TVA, lèvera le voile sur le monde des procureurs de la Couronne. Tout en suivant le quotidien des avocats, on y montrera le fonctionnement du système de justice au Québec. Il fallait une certaine audace pour parler de déficience intellectuelle et de dépression comme ils l'ont fait à heures de grande écoute dans Annie et ses hommes. Traiter d'euthanasie, de suicide assisté, de Charte des droits ou de lourdeur des peines, comme on le verra dans Toute la vérité, est-ce une façon de parler de politique? Bernard Danserau espère à tout le moins qu'une émission comme celle sur le suicide assisté suscitera des conversations.

«Au Québec, comme on essaie d'écrire des séries qui visent un très large auditoire, on n'aura pas tendance à choisir un thème qui séparerait les gens. Mais je ne m'empêcherais jamais d'écrire quelque chose d'aussi fin que The West Wing

L'auteur aimerait bien que le marché permette la production d'oeuvres qui ne viseraient que 5 % ou 10 % de l'auditoire. «Par contre, je ne vois pas comment, légalement, un film comme W pourrait être fait ici. On fait vraiment passer Condeleezza Rice pour une tarte là-dedans!»

Martin Forget: la culture du petit budget

Martin Forget a écrit Si la tendance se maintient (à TVA en 2001) et Pure laine (à Télé-Québec en 2006). La première se déroulait chez les politiciens. La seconde abordait des sujets chauds liés à l'immigration et à l'identité québécoise. Selon lui, s'il y a de l'autocensure, elle est sur le plan des moyens de production. «En ce moment, c'est très, très difficile. Je ne pense pas qu'on ait des affaires bien révolutionnaires dans les deux prochaines années», dit-il.

Pour causer de politique dans les séries télé, Martin Forget croit qu'il faut maintenir deux niveaux de lecture. On se divertit d'abord sans se soucier du message. Si la politique nous intéresse, on va plus loin. C'est ce qu'il a fait avec Si la tendance se maintient, une comédie décrivant l'improbable ascension politique d'un quidam, joué par Michel Côté. «Pour beaucoup de gens, c'était avant tout l'histoire de ce gars-là et de sa relation avec sa femme. Mais ça se passait dans le domaine de la politique. Chacun pouvait prendre ce qu'il voulait là-dedans.» Cela dit, on peut quand même aller assez loin dans les débats de société, croit-il.

«On a une télé très téléromanesque: les relations humaines, familiales, de couple. C'est vrai ailleurs aussi. Mais il y a certains pays, comme les États-Unis, où la taille du public permet peut-être d'essayer plus de choses. Là-bas, si tu fais de petites cotes d'écoute mais bien nichées, c'est quand même beaucoup de monde!»

Luc Dionne: en mode survie?

Pourrait-on créer Bunker, le cirque aujourd'hui? Absolument, répond Luc Dionne, qui travaille ces jours-ci à une nouvelle saison d'Omertà après avoir porté au cinéma la vie d'André Mathieu. «À mon avis, il n'y a pas de sujets tabous qui font que les diffuseurs disent: «Non, on ne veut pas toucher à ça.»»

La satire des hauts lieux du pouvoir politique et médiatique diffusée en 2002 à Radio-Canada avait une facture et un langage potentiellement déroutants. Le propos, grinçant et cynique, a fait réagir. Le milieu politique - et certains journalistes - avaient crié au scandale avant même la première diffusion. «Quand on est arrivés avec Bunker, le mandat qu'on avait, c'était de pousser la télé plus loin, raconte-t-il. Je pense qu'au moment où on se parle, chez les artisans en tout cas, il y a surtout une volonté de survie.»

Bunker devait être le premier volet d'un triptyque qui aurait abordé le monde de la finance et celui des arts. «Mais le diffuseur n'a pas suivi, dit-il. Ils ne te disent jamais pourquoi.»

Luc Dionne ne croit pas que les auteurs évitent les sujets sociaux ou politiques parce que trop délicats. «Les gros conflits de société touchent souvent moins le spectateur. La bonne écriture est une écriture où les personnages sont en conflit avec eux-mêmes par rapport à leurs valeurs à eux. Ce n'est pas une question d'être frileux ou pas.»

Quelques séries politiques québécoises

> Vies des hommes politiques et militants:

Trudeau (2002, avec Colm Feore)

René-Lévesque, le destin d'un chef (2006, avec Emmanuel Bilodeau)

René-Lévesque (1994, avec Denis Bouchard)

Chartrand et Simone (1999, avec Luc Picard et Geneviève Rioux)

Laurier (1987, avec Albert Millaire)

Duplessis (1978, avec Jean Lapointe)

> Incursion dans le monde politique:

Bunker, le cirque (2002, avec David Boutin)

Si la tendance se maintient (2001, avec Michel Côté)

Marylin (de 1991 à 1993 avec Louisette Dusseault, en femme de ménage qui devient conseillère municipale)

Monsieur le ministre (de 1982 à 1986, avec Michel Dumont)

Les belles histoire des Pays d'en Haut (Par la bande, on traite de la politique de colonisation du nord avec «l'agent des terres» Séraphin Poudrier.)