Lundi soir prochain, 25 ans après être entrée comme reporter à Radio-Canada, Céline Galipeau succédera à Bernard Derome et deviendra la première femme chef d'antenne de la télé publique. Pour cette fille de journaliste, ce sera un tournant important, symbolique, et un moment qu'elle attend depuis longtemps. Portrait d'une grande voyageuse qui a décidé de poser ses valises et de s'installer à demeure tous les soirs dans notre salon.

Céline Galipeau a grandi sans télévision, mais en écoutant tous les soirs les bulletins de nouvelles de la BBC. Son père, Georges Galipeau, un journaliste qui a débuté dans le métier comme correspondant au Vietnam pour UPI, y tenait mordicus. Peu importe ce que Céline, ses deux soeurs cadettes et sa mère vietnamienne étaient en train de faire, elles devaient tout abandonner sur-le-champ et venir se recueillir en silence devant le poste de radio.

 

«Togo, Sénégal, Syrie, Jordanie, peu importe où on était dans le monde, on syntonisait la BBC pour écouter l'actualité de la journée», raconte Céline Galipeau au deuxième sous-sol de Radio-Canada dans le bureau vide d'un cadre parti à la retraite. Céline a choisi l'endroit pour ne pas être dérangée par les membres de son équipe, qui préparent fébrilement son entrée en fonction, mais aussi par souci de discrétion.

Le jour de notre rencontre, Bernard Derome livrait son ultime bulletin de nouvelles. Partout dans les couloirs de l'information ce jour-là, un mélange d'émotion et d'électricité flottait dans l'air. Pour celle qui allait bientôt succéder au monument Derome, la discrétion était de mise. Pas question de lui voler la vedette ni de le priver de ses derniers moments de lumière. Sans compter que Galipeau était elle-même un brin émue et troublée par ce départ. «J'ai travaillé pendant des années avec Bernard. Je sais ce qu'il a accompli, ce qu'il représente. C'est un de nos grands qui s'en va et avec son départ et celui des autres grands comme Tom Brokaw, Peter Jennings et Dan Rather, je sais pertinemment que les bulletins n'auront plus jamais le même poids ni la même dynamique. Tout ce que j'espère, c'est qu'il y ait une réelle passation de pouvoir et que le départ de Bernard n'enlève pas à la fonction ce qu'elle représente.»

De père en fille

Habituellement, lors d'une passation de pouvoirs présidentielle, le président remet à son successeur les codes d'accès à la force de dissuasion nucléaire et lui prodigue quelques conseils. Mais on voit mal quels conseils Bernard Derome aurait pu prodiguer à une femme qui a 25 ans de métier dans le corps, une longue carrière de correspondante et de reporter de guerre et qui, en plus, est la fille d'un grand journaliste. En effet, après avoir quitté UPI, Georges Galipeau a écrit pour La Presse, Le Soleil et Le Nouveau Journal avant d'être nommé par les Nations unies directeur du Centre d'études des sciences et techniques de l'information en Afrique. Les premières années de sa vie, Céline ne les a pas passées à Longueuil, où elle née, mais au Togo et au Sénégal.

En 1976, elle entre à l'université en Cisjordanie en sciences politiques, puis l'année suivante, elle étudie la littérature anglaise à l'Université d'Amman en Jordanie. Elle revient au pays en 1978 et termine son bac en sciences politiques et en sociologie à l'UQAM puis à McGill. «À ce moment-là, ce que je voulais faire n'était pas entièrement clair dans ma tête. En même temps, j'avais tellement écouté de bulletins de nouvelles à la radio que je me disais que c'était probablement la chose que je pourrais faire sans même l'avoir étudiée.»

Michel Beaudry pense la même chose et lui offre un poste dans la salle de nouvelles de CJMS.

C'est le journaliste Paul Larocque qui lui apprend à rédiger ses premiers topos et à faire ses premières interventions au micro. En 1984, elle change de trottoir et de style et entre au service de l'information de la télévision de Radio-Canada. Et, événement annonciateur de son avenir, dès son premier été, elle remplace à l'occasion Jean Ducharme, l'animateur du bulletin de fin de semaine.

«Même si j'ai été partie à l'étranger pendant longtemps, au début de ma carrière à Montréal, je me souviens que je regardais Sandy Rinaldo, l'animatrice du matin à CTV qui est d'ailleurs toujours là, et je me disais que ça me plairait de faire le même métier qu'elle.»

Vivre à l'étranger

Très vite, cependant, Céline retrouve le goût du large et de l'exil. Nommée à Toronto en remplacement de Julie Miville-Dechêne, elle postule pour devenir correspondante à l'étranger et sera tour à tour en poste à Londres, Paris, Moscou et Pékin. Mais toutes les fois qu'elle est sur le point de s'installer quelque part, un conflit éclate pas loin et l'interpelle. Le fait que sa mère soit une rescapée de la guerre du Vietnam explique à la fois sa hantise des guerres, mais aussi son empressement à enfiler un gilet pare-balles et à se retrouver sous le bruit et la fureur des balles et des bombes. Guerre du Golfe, guerres civiles en Algérie, au Kosovo, en Tchétchénie et en Afghanistan, rien n'est à l'épreuve de celle qui est en train de faire de la guerre sa spécialité. Et puis en 2003, alors qu'elle est sur le point de partir pour l'Irak, les patrons la rapatrient en catastrophe à Montréal pour animer un bulletin de guerre quotidien.

«Non seulement ce n'était pas dans mon plan de carrière, mais je n'étais pas de bonne humeur à l'idée de quitter le terrain. J'avoue que cette fois-là, je suis revenue à contrecoeur, pour faire plaisir à mes patrons.»

Une fois la guerre installée et intégrée aux bulletins réguliers, Galipeau repart en Irak. Pour la première fois de sa vie de correspondante, le danger et la difficulté de la tâche commencent à lui peser. «C'était en juillet à Bagdad. Il faisait 50 degrés. On n'avait pas d'eau, pas d'électricité. Mon caméraman était très mal en point. Ça faisait quatre mois que j'étais partie de chez nous. Jour après jour, on vivait des choses très dures humainement, comme cette fois où on est entrés dans un hôpital psychiatrique dévasté. La moitié des malades s'était enfuie, les autres étaient restés et n'avaient rien mangé depuis des jours. Et au milieu de cet enfer, j'ai reçu un appel de Montréal me demandant si j'avais envie d'animer le bulletin de fin de semaine.»

Retour au bercail

Au même moment, son conjoint, le journaliste Jacques Bissonnette, est coincé en Chine et aux prises avec la crise du SRAS. Bref, tout allait mal et cette invitation à revenir au bercail et à une vie plus normale est subitement apparue comme une possibilité souhaitable et envisageable. Mais revenir s'installer à Montréal après 16 ans d'absence ne fut pas facile.

«Réapprendre à vivre au quotidien dans notre ville, avec un fils de 14 ans qui avait passé toute sa vie à l'étranger, n'a pas été évident. Et puis j'avais des doutes sur mes nouvelles fonctions de fin de semaine. Je voyais ça un peu comme une voie de garage. Avec le recul, je me rends compte que ça m'a permis de revenir en douceur. Le public, de son côté, a eu le temps de me connaître et de m'apprivoiser. Et puis est arrivée cette grande chance qui a complètement changé la donne.»

Galipeau fait allusion à l'émission Tout le monde en parle, véritable locomotive du bulletin du dimanche soir qui, dans son sillage, s'est mis à doubler et à tripler de cotes d'écoute. Ajoutez à cela le clin d'oeil hebdomadaire de Guy A. Lepage à une animatrice qu'il affublait chaque dimanche d'un nouveau qualificatif et Céline Galipeau est devenue une star.

«Quand j'ai couvert la campagne électorale au Québec, la première chose dont les gens me parlaient en m'abordant, c'était les adjectifs de Guy A. Lepage», raconte-t-elle avec un sourire presque reconnaissant. Mais tout cela est fini. À partir de lundi prochain, Céline Galipeau entrera tous les soirs de semaine dans notre salon. Ce que nous retiendrons de notre monde sera en partie son oeuvre.

«Je me sens une responsabilité face au public que je n'avais pas comme journaliste. Et je trouve ça formidable. J'ai eu 51 ans cette année et j'ai l'impression à la fois d'avoir atteint un sommet, mais aussi d'avoir encore beaucoup de temps devant moi. J'espère être à l'antenne longtemps et pouvoir vieillir en paix sans être obligée de me faire remonter le visage même si on est en HD. Et puis je succède à Bernard Derome. Ce n'est pas rien.»

Céline Galipeau a déjà choisi l'ensemble qu'elle portera pour son premier Téléjournal. Ce sera un ensemble rouge éclatant qui rappellera le logo de l'émission. On imagine qu'elle sera un brin nerveuse pour son premier grand soir de chef d'antenne. Mais elle en a vu d'autres et puis pour une fois, la fonction n'oblige pas le port d'un gilet pare-balles...