François Avard me donne rendez-vous au chic resto Decca 77, rue Drummond. L'auteur des Bougon est porte-parole du 10e État d'urgence, organisé par l'ATSA à compter de demain au parc Émilie-Gamelin. Discussion sur l'engagement.

Marc Cassivi: Dans ta toute dernière chronique du Ici, tu as écrit à la blague que tu démissionnais parce que, pour une fois, tu étais d'accord avec moi. Ça m'a fait plaisir...

François Avard: C'est vrai. J'ai déjà écrit des vacheries. Mais cette fois-là, on était pas mal d'accord (sur les accommodements raisonnables). Là, je veux te parler du travail formidable que font Annie Roy et Pierre Allard de l'ATSA depuis 10 ans avec État d'urgence. J'ai envie de te faire une démonstration du profilage social que subissent les sans-abri. Ça te tente?

M.C.: O.K.

F.A.: Dans le but évident de faire disparaître les sans-abri du centre-ville, on peut leur remettre une contravention de 100 $ pour un geste banal comme avoir jeté un «botch» de cigarette. L'itinérant ne peut pas payer. Alors un jour, il se retrouve en cour, et avec les frais, les 100 $ sont devenus 300 $. Il ne les a pas. On le condamne à 12 jours de prison. Ça coûte au contribuable 1920 $ pour l'emprisonner et quand il sort, on n'a absolument rien réglé. Je trouve qu'il serait beaucoup plus logique d'utiliser cette somme pour payer des travailleurs sociaux qui viennent en aide aux sans-abri.

M.C.: Tu t'intéresses depuis longtemps à la problématique de l'itinérance?

F.A.: Je m'y intéresse probablement plus que bien des Montréalais. Je viens de la banlieue - j'habite à Saint-Hyacinthe -, mais je suis très régulièrement au centre-ville de Montréal. Je côtoie les sans-abri, alors qu'il y a des gens qui habitent l'île de Montréal et qui ne les côtoient jamais. Je suis placé comme tout le monde devant l'insolubilité du problème. Je m'intéresse aux sans-abri comme je m'intéresse à tous les sans-voix, les sans-droit, les sans-toit et les sans-le-sou comme le dit le FRAPRU.

M.C.: Tu veux te servir de ta notoriété pour leur donner une voix?

F.A.: Si ma voix peut servir à intéresser des gens au sort des sans-abri, à faire porter le message dans les médias, tant mieux. Il y a en ce moment plus de 4000 mandats d'arrêt contre des sans-abri. Si tous ces mandats étaient transformés en emprisonnements, on dépenserait plus de 8 millions pour emprisonner des pauvres bougres qui ne sont pas de vrais criminels. Contrairement à d'autres, je ne suis pas associé à un parti politique, je ne suis pas engagé commercialement avec des commanditaires, je n'ai aucun parti pris. Je suis un peu plus crédible que bien d'autres pour ce genre de choses-là.

M.C.: Le refus de l'engagement politique partisan, c'est un choix de tout temps?

J'ai beaucoup de difficulté à convaincre des artistes de me parler de leur engagement politique.

F.A.: Il y a une désillusion totale à l'égard de la politique partisane, tous partis confondus. Cette désillusion de la population se reflète aussi chez les artistes. Ce qui n'empêche pas qu'il y ait énormément d'artistes qui, comme moi, continuent de s'engager socialement. Je n'ai pas envie de m'engager pour un parti en particulier parce qu'il n'y en a pas un qui m'impressionne assez pour ça.

M.C.: Tu as peur d'être récupéré?

F.A.: Aux dernières élections, j'ai voté pour le Bloc, parce que j'aimais bien la candidate. Mais j'aurais pu voter NPD ou vert. Je n'irai pas parler dans une soirée partisane. Ça ne m'intéresse pas.

M.C.: Trouves-tu que les artistes qui le font compromettent leur indépendance d'esprit?

F.A.: Au contraire, je les trouve courageux. Tous les citoyens qui ont des convictions méritent le respect. Qu'ils pensent comme moi ou pas. Je trouve respectable qu'ils aient assez de convictions pour les exprimer sans gêne. Je ne lancerai jamais la pierre à celui qui exprime une conviction contraire à la mienne. Je peux ne pas être d'accord, je peux débattre avec lui, mais je ne dénigrerai jamais son engagement citoyen au sein d'une formation politique.

M.C.: On a su récemment que tu étais derrière la fameuse vidéo Culture en péril. Pourquoi avoir voulu que cet engagement reste anonyme?

F.A.: L'idée a été lancée et le téléphone arabe a voulu que l'on garde ça anonyme pour en faire un objet artistique indépendant. Rapidement, j'ai constaté que l'anonymat n'était pas l'idée du siècle. Les comédiens portaient le fardeau de tout ça. J'ai entendu des horreurs à propos du clip et j'aurais aimé pouvoir répliquer. Josée Verner a insisté sur la seule faille du clip, l'anonymat.

M.C.: Ça pouvait donner l'impression que vous n'assumiez pas tout à fait votre propos.

F.A.: Oui. Je trouve ça triste. Certains se sont même demandé si le clip avait été payé par un parti politique. Pas du tout. Tout le monde a fait ça gratuitement.

M.C.: Tu reviens souvent sur ton voyage en Afrique (NDLR: au Rwanda, au Soudan et en République démocratique du Congo). C'a été un tournant dans ton engagement?

F.A.: Mon voyage en Afrique a été un tournant non seulement dans mon engagement, mais aussi dans ma vie. N'importe qui serait revenu complètement changé. Ça m'a donné le goût de prendre le crachoir dans les médias pour tous les sans-voix du Darfour.

M.C.: Il y a un danger à devenir porte-parole d'une cause sans en être un spécialiste. Je ne sais pas combien de temps tu as passé en Afrique...

F.A.: Cinquante jours. Ce qui serait chouette, ce serait que les spécialistes de la chose africaine ou de l'itinérance soient des vedettes. Ils sont les mieux placés pour en parler. Je ne peux pas être aussi spécialiste de l'itinérance ou de l'Afrique que je le suis de la scénarisation. Sauf qu'il y a une chose que j'ai, c'est un coeur, une sensibilité, une façon d'exprimer ce que je vois.

C'est plate à dire, mais il y a bien des spécialistes qui sont plates. Je suis comme une caisse de résonance de leur travail. Ça ne me gêne pas du tout de ne pas être un spécialiste de l'Afrique. J'y suis allé et j'ai vu bien des affaires que des intellectuels qui étudient l'Afrique n'ont jamais vues parce qu'ils n'ont pas visité les coins de misère que j'ai visités. Ce serait bien plus simple d'être porte-parole d'un concours d'Hawaïan Tropic et de regarder des totons.

M.C.: J'ai l'impression que la misère à l'étranger est souvent récupérée chez nous par les bons sentiments. Les opérations comme Vision mondiale. As-tu le souci de ne pas tomber dans le misérabilisme?

F.A.: J'ai fait mon voyage en Afrique en collaboration avec Oxfam. Je payais mes déplacements et je n'étais pas leur porte-parole. Mais Oxfam savait qu'en m'invitant, je ne pourrais pas ne pas parler de ce que j'ai vu. Je pense que d'utiliser les bons sentiments au sortir d'une expérience pareille, c'est la base. Il faut que ça parte de là. Il faut interpeller les gens avec cette misère-là. L'aide ne doit pas être cérébrale. Si tu es capable de toucher les gens par ce que tu vois et ce que tu fais, c'est tout ce qui compte. Je crois bien plus à l'élan du coeur qu'à l'élan de la tête.