Comme son titre l'indique, l'album Sas Agapo (« Je vous aime ») est une déclaration d'amour, une lettre d'amour ou plutôt une partition d'amour au peuple grec que le pianiste Alain Lefèvre a conçue, là où il s'est installé récemment et où il coule des jours heureux...

« Quand je ne suis pas en tournée, je suis surtout en Grèce, mais je suis aussi très souvent au Québec. Ainsi, j'ai un modeste pied-à-terre à Montréal et ma résidence principale se trouve au sud d'Athènes », précise le concertiste interviewé au lunch-lancement de Sas Agapo, 6album de compositions pianistiques et 20sous étiquette Analekta.

Là-bas, trois mois ont suffi à la composition des huit pièces de Sas Agapo, comparativement aux longs processus de création qui avaient précédé ses cinq autres albums de musique originale.

« Normalement, ça me prend environ deux ans pour aboutir. Ç'a donc été rapide cette fois ; ça s'est fait sous l'influence de belles promenades, de moments idylliques vécus dans ce pays merveilleux. Et c'est ainsi devenu un hommage aux Grecs. »

SCANDALEUSE AUSTÉRITÉ

Et voilà que le plus loquace de nos pianistes de concert se porte à la défense passionnée de son nouveau peuple d'adoption.

« En Amérique du Nord, la vision que les gens ont de certains pays est hallucinante - je pense évidemment à la Grèce. J'ai entendu que les Grecs étaient paresseux, alors qu'il a été démontré qu'ils travaillaient plus que la plupart des pays européens, à hauteur de 20 %. On a dit que les Grecs étaient des spécialistes de la fraude fiscale, alors que c'est le sport national de tous les pays... »

Force est de déduire que Sas Agapo dénonce, en sous-texte, le sort jeté à la Grèce par le monde financier et l'Union européenne au cours des dernières années.

« La médecine qu'on a appliquée aux Grecs, cette austérité maladive que des gouvernements de chez nous essaient d'appliquer, je suis contre. L'austérité est une religion qui oblige les démunis à se serrer davantage la ceinture. C'est scandaleux ! », dit Alain Lefèvre.

Et voilà le virtuose reparti dans un vibrant plaidoyer contre l'austérité : 

« Deux Prix Nobel d'économie [Paul Krugman et Joseph Stiglitz] nous disent que ça ne donne strictement rien. Tout ce que ça fait, c'est que ça désespère les peuples. Il y a quelque chose d'absolument pervers là-dedans. L'austérité pour les gens très modestes qui mangent du baloney, ça m'écoeure. Dans ce contexte, j'ai vu à quel point les Grecs étaient résilients. J'ai été touché par la force de ce peuple résistant à la sauvagerie économique et à l'humiliation. »

CRUAUTÉ, ESPOIR, ALLÉGRESSE

Au-delà de ces considérations politico-économiques, les huit pièces de Sas Agapo sont toutes chargées de sens et d'émotions que verbalise son concepteur.

Selon ses dires, l'âme du peuple grec est évoquée dans la pièce-titre, l'espoir jaillit de l'épreuve dans Elpida, la cruauté envers les plus faibles est illustrée dans Domino, Non retour rappelle la déchirure définitive des amitiés et des amours ou même des diagnostics de mort, c'est l'avenir sombre de l'humanité dans Prémonition, c'est le spectacle bouleversant d'un vieux couple amoureux sur une plage de la mer Égée dans Promenade à Kavouri, c'est le bonheur inespéré des êtres qui trouvent l'âme soeur à un stade avancé de leur vie dans Le bel amour, c'est la quintessence de l'allégresse et du plaisir insouciant dans Grand Carnaval.

Alain Lefèvre se défend d'avoir composé un album de musique grecque, bien qu'on puisse en observer quelques caractéristiques.

« Comme la musique grecque a été marquée par l'Empire ottoman et par d'autres contrées comme la Dalmatie et la Vénitie, on trouve certaines de ces influences dans la pièce-titre de l'album. Mais les autres compositions puisent ailleurs. »

Alain Lefèvre considère ce sixième opus de pièces originales de son cru comme un pivot d'une « modeste carrière de compositeur ».

« Les choix harmoniques y sont plus impressionnistes, modernes et jazz que romantiques ; c'est le plus avancé de mes albums en ce sens. Sas Agapo est d'une immense difficulté à jouer, car la main gauche y fait des choses qui n'ont rien à voir avec ce que fait la droite. Et j'ose croire que la dernière, Grand Carnaval, est une pièce assez virtuose. Cet album me semble plus cohésif, il y a un fil conducteur ; le début et la fin s'y démarquent, et une véritable ambiance s'installe entre l'introduction et la conclusion... »

Alain Lefèvre prévoit jouer la matière de Sas Agapo au prochain festival Montréal en lumière.

CLASSIQUE

Sas Agapo

Alain Lefèvre

Analekta

Image fournie par Analekta

Sas Agapo, d'Alain Lefèvre