À l'époque de Dutoit, l'OSM rodait en concert, salle Wilfrid-Pelletier, les oeuvres qu'il allait ensuite enregistrer dans la vieille église de Saint-Eustache. Avec Nagano, on enregistre le concert tel quel, quitte à faire ensuite un montage.

Cette semaine, on prépare, pour la marque Onyx, un disque Bartok qui réunira le Concerto pour orchestre et le deuxième Concerto pour violon. Le concert est donné trois fois et les micros sont là les trois fois. On n'enregistre que ces deux oeuvres, bien sûr, et non les deux pièces qui complètent le programme, soit l'ouverture de Candide de Bernstein et l'Adagio de Barber. Des deux Bartok, on retiendra les éléments jugés les meilleurs.

Avant le concert, le public se fait dire de rester silencieux. On l'informe aussi que le maire Coderre est dans la salle, que le Barber sera joué à la mémoire des victimes des attentats de Paris et que le violoniste Augustin Dumay jouera assis car il s'est blessé à un pied. 

Dommage qu'on n'enregistre pas le Bernstein et le Barber : ce sont les meilleurs moments de la soirée. Autant Nagano anime le Bernstein d'une énergie et d'une bonne humeur absolument contagieuses où éclate la virtuosité de tout l'orchestre, autant, dans le Barber, il pousse la phalange entière des cordes à ses limites, tel un cri pénétrant. Le silence de la salle comble est absolu.

Mais il ne le restera pas longtemps. Quelqu'un tousse très fort dès le début du premier mouvement du Concerto pour orchestre. Il faudra donc choisir une autre prise. Au deuxième mouvement, les bois par deux sont parfaitement synchronisés, mais les trompettes ne le sont pas. Là encore, un passage à reprendre. Tout comme au mouvement suivant, l'Élégie, où une autre toux vient gâter l'immatériel trémolo final du piccolo.

Pour l'ensemble, il s'agit d'une bonne réalisation dont les trois moutures devraient produire le résultat souhaité. L'OSM a joué maintes fois le Concerto pour orchestre et l'a enregistré dès 1987, avec des effectifs dont plusieurs, le quart en fait, sont encore là. Nagano traduit bien la gravité de l'Élégie et l'agitation du Presto final, et de nombreuses interventions sont à signaler -- et à conserver --, par exemple ces comiques glissandos des trombones rageant seuls au beau milieu de l'Intermezzo.

La discographie du Concerto pour orchestre de Bartok est énorme et la version Nagano-OSM aura à faire face à une forte concurrence. Même chose pour le deuxième Concerto pour violon (pendant longtemps le seul connu de Bartok), enregistré aujourd'hui à satiété. La formule, plus rare, de réunir les deux oeuvres devrait aider la vente. On pourrait même dire que le voisinage du Concerto pour orchestre de Nagano et l'OSM profitera au Concerto pour violon d'Augustin Dumay.

Bientôt 66 ans, M. Dumay est un très honnête musicien, mais il a peu de personnalité et ne compte certainement pas parmi les grands représentants actuels du violon. Il a joué son Bartok avec une articulation et une justesse irréprochables et respecté toutes les indications de la partition, qu'il avait devant lui, y compris les passages en quarts de ton souvent ignorés par les solistes. Et pourtant, sa lecture ne laisse aucune impression durable. Les doubles cordes manquent sérieusement de caractère, le discours est sans envergure et c'est en vain qu'on attend le lyrisme et le mystère qui habitent cette oeuvre envoûtante. Dans les circonstances, on ne voit pas ce que les prochaines prises pourront changer.

ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL. Chef d'orchestre : Kent Nagano. Soliste : Augustin Dumay, violoniste. Mardi soir, Maison symphonique, Place des Arts. Reprises mercredi et jeudi, 20 h. Séries Grands Concerts.

Programme :

Ouverture de la comédie musicale Candide (1956) - Bernstein

Concerto pour violon et orchestre no 2, Sz. 112 (1939) - Bartok Adagio pour cordes, op. 11 (1936) - Barber

Concerto pour orchestre, Sz. 116 (1944) - Bartok