Quand Mari Kodama étudiait avec le grand Alfred Brendel, son maître lui disait qu'à partir de 30 ans, après avoir exploré tout le répertoire, un pianiste devait choisir quelques compositeurs avec qui il est prêt à passer sa vie. Elle a choisi Beethoven et vient de passer 10 ans à enregistrer l'intégrale de ses sonates. La pianiste est de passage à Montréal cette semaine pour lancer cette intégrale maintenant réunie en un coffret sous étiquette Pentatone.

Même si Mari Kodama mène une belle carrière internationale, elle est surtout connue à Montréal comme la femme de Kent Nagano. Elle a joué avec l'OSM à quelques reprises, sous la direction d'autres chefs. La dernière fois remonte à 2009.

«Mon mari et moi avons un accord, qui est de ne pas jouer trop souvent ensemble en concert, dit-elle. J'essaie aussi de ne pas trop jouer aux endroits où il est très présent, sauf si ce sont des villes où j'étais connue avant lui. C'est trop facile, pour les gens, de dire que je suis "la femme de".»

Pour enregistrer son intégrale des sonates de Beethoven, elle a pris tout son temps. Elle avait de bonnes raisons: 

«D'abord, il existe déjà de nombreux enregistrements de ces sonates, dit-elle. Ensuite, 32 sonates, c'est beaucoup. Dans les intégrales des grands maîtres, on voit clairement quelles sont les sonates préférées de chacun. Je voulais prendre le temps de donner une attention suffisante à chacune d'entre elles. Si on se sent moins à l'aise avec une sonate, il faut lui donner encore plus d'attention.»

Une grange, deux Steinway

Les 10 albums du coffret ont été enregistrés aux Pays-Bas, à deux endroits différents. Sept d'entre eux l'ont été dans une grange d'un village, au nord du pays.

«C'était vraiment au milieu de nulle part. Il n'y a qu'une seule rue dans ce village et, dans cette grange qui a été transformée en studio et en salle de concert par un pianiste, on trouve deux magnifiques Steinway. J'ai eu la chance de travailler avec un producteur extraordinaire, Wilhelm Hellweg, un maître qui a enregistré avec Claudio Arrau et Zoltan Kocsis. Il a été comme un miroir en me posant des questions sur la signification de tout ce que je faisais.»

Comment se sent-on après avoir terminé le projet d'une décennie?

«C'est comme si je mariais mon dernier enfant. Beaucoup d'autres choses vont naître de cela.»

Étudier avec les grands

Mari Kodama est née au Japon, mais elle a grandi en Europe. Fille d'un banquier, elle a déménagé plusieurs fois avec toute sa famille et vécu en Allemagne, en France et en Angleterre. Elle parle d'ailleurs les langues de ces trois pays, en plus du japonais, et c'est en français que s'est déroulé son entretien avec La Presse.

«J'ai eu beaucoup de chance d'étudier avec de grands maîtres pour chaque style: Germaine Mounier au Conservatoire de Paris pour la musique française; la grande pianiste russe Tatiana Nicolaïeva pour Bach et pour la musique russe, et avec Alfred Brendel pour le répertoire austro-allemand.»

Elle a rencontré Brendel à 21 ans. Il n'acceptait pas d'élèves, mais, par courtoisie envers des amis communs, il a consenti à l'écouter jouer pendant une heure.

«Après cette heure, il m'a dit de revenir et ça a continué comme ça pendant environ cinq ans. J'allais ensuite le voir de temps à autre. J'ai joué pour lui pour la dernière fois il y a cinq ans, mais, comme il commence à avoir des problèmes auditifs, il n'écoute plus autant de piano.»

Pianistes de mère en fille

La mère de Mari Kodama était aussi pianiste, mais elle a interrompu sa carrière pour élever ses enfants. Sa soeur, Momo, est également pianiste; elle a même été invitée à l'OSM à l'époque de Charles Dutoit. Aujourd'hui, Karin Kei Nagano, sa fille, se destine également au piano. Elle a enregistré son premier disque cette année sous étiquette Analekta.

C'est à Londres que Mari Kodama et Kent Nagano se sont rencontrés pour la première fois, à l'occasion de l'enregistrement du Concerto no 3 de Prokofiev.

«J'ai eu beaucoup de chance d'avoir la musique dans ma vie et de l'avoir partagée avec ma famille et mes amis, et maintenant, avec mon mari et ma fille.»

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CLASSIQUE. Ludwig van Beethoven The Complete Piano Sonatas. Mari Kodama. Pentatone.